Alors que la menace jihadiste grandit au Sahel et s’étend aux pays voisins, et que la Russie gagne toujours plus de terrain, l’auteur de « L’Afrique, prochain califat ? souligne les erreurs stratégiques de la France.
Chercheur et professeur au Centre de recherche internationale (Ceri) de Sciences-Po Paris, professeur invité à Columbia et à Montréal, observateur de l’Union européenne en Afrique subsaharienne, Luis Martinez a l’habitude de peser ses mots et de ne pas lancer de provocations à la légère ou formules caricaturales. Alors, le titre de votre dernier livre, Afrique, le prochain califat ? (éd. Taillandier, 2023), et son sous-titre qui évoque « l’expansion spectaculaire du djihadisme » sur le continent ne peut qu’intriguer.
Si un spécialiste reconnu, grand connaisseur des pays d’Afrique du Nord et du Sahel, ose faire une telle formule, force est de constater que l’heure est grave. C’est ce que confirme ici le chercheur, soulignant combien les pays occidentaux, la France en tête, se sont trompés dans l’analyse du phénomène jihadiste au Sahel, et surtout dans la réponse – essentiellement militaire – qu’ils croyaient lui apporter. . Des erreurs dont les Etats concernés paient aujourd’hui les conséquences.
Jeune Afrique : des groupes djihadistes occupent des zones du territoire au Mali, au Burkina Faso, au Nigeria, au Tchad, au Niger et tentent d’étendre leur présence jusqu’au golfe de Guinée. Si la communauté internationale n’a pas vu venir cette expansion, est-ce principalement parce qu’elle s’est trompée sur la nature même du phénomène ?
Luis Martinez : Lorsque les premiers groupes djihadistes sont apparus au Sahel, de nombreux observateurs extérieurs ont fait la même analyse qui prévalait dans les années 1990, lorsque l’Algérie a connu une explosion de violence. On parlait de « combattants étrangers », d’un jihad importé en partie financé ou soutenu par les pays du Golfe, d’alliances de complaisance avec des groupes locaux ou des trafiquants, on expliquait cette colère par des raisons économiques et sociales…
Mais, en interrogeant les membres de ces groupes sur le terrain, détenus, repentis, nous nous sommes rendus compte que la réalité était tout autre : ces gens étaient « locaux » ; au moins une partie du discours des chefs jihadistes leur faisait sens, notamment les références à une histoire du jihad, à l’époque précoloniale, dans les pays du Sahel. En refusant de voir cela, de nombreux pays ont cru pouvoir apporter une réponse essentiellement militaire, éventuellement accompagnée de quelques mesures sociales, ce qui était une grave erreur.