Il n’y a pas si longtemps, le militant franco-béninois Kémi Séba a été arrêté alors qu’il se rendait à Bobo-Dioulasso pour un meeting contre la politique africaine de la France. Quelques jours plus tard, les faits semblent lui donner raison. La semaine dernière, en effet, c’est dans la même ville de Bobo-Dioulasso que le convoi militaire français qui a quitté Abidjan pour le Niger a eu ses premières inquiétudes. Soulagés contre une certaine politique de la France, les jeunes d’une même ville ont manifesté concrètement leur hostilité à la traversée de la ville par le convoi. Après quelques vicissitudes, le convoi a tout de même réussi à atteindre Ouagadougou où il a également été bloqué à Boulmiougou, à l’entrée de la ville. Cependant, il a réussi à se rendre dans la ville de Kaya où les choses se sont passées différemment. Encouragée par les événements de Bobo et Ouaga, fortement relatés par les réseaux sociaux, la population de Kaya, à laquelle s’est ajoutée la population environnante, s’est mobilisée contre le passage du convoi contraint de se retirer à Laongo pour le moment. Il est évident qu’il se passe quelque chose en Afrique francophone. Depuis le coup d’état de Salou Djibo contre le président Nigérien Mamadou Tandja qui n’avait pas craint de modifier la Constitution pour prolonger son mandat à la tête du pays, à travers le mouvement « Y en a marre » au Sénégal qui a empêché la réélection de Le président Abdoulaye Wade, le mouvement insurrectionnel d’octobre 2014 qui a renversé le président Blaise Compaoré du pouvoir, sans parler des manifestations qui ont conduit au coup d’État du colonel Assimi Goita au Mali, on peut dire que quelque chose de nouveau est en train d’émerger en Afrique francophone.
Il faut beaucoup de discernement dans l’action
Après la conférence de Brazzaville de 1944, les autorités françaises développent une stratégie politique qui consiste à garder à tout prix le contrôle de leurs anciennes colonies africaines. Initiée par Charles de Gaulle, cette politique s’est poursuivie jusqu’à ce jour. A l’exception de l’arrivée au pouvoir fulgurante de certains dirigeants politiques qui ont su déjouer les stratégies de la France comme Sékou Touré de Guinée, Sylvanus Olympio du Togo, Modibo Kéita du Mali, Marien Ngouabi du Congo et Thomas Sankara du Burkina , les Présidents Afrique francophone ont presque toujours été de véritables sous-préfets de France, heureux de jouer leur rôle de simple relais qui leur permet de se maintenir au pouvoir avec l’appui des services secrets français. Les populations d’Afrique francophone contestent aujourd’hui de plus en plus cet état de fait. Il y a une certaine impression que l’Afrique francophone fuit la France. Pas pour les dirigeants qui restent sous son commandement, mais pour une population qui a subi un changement qualitatif depuis la période des indépendances. Et c’est ce que la France semble n’avoir pas encore compris. Un pays comme le Burkina, qui au moment de l’indépendance en 1960 n’avait quasiment pas de diplômés, compte aujourd’hui au moins dix universités publiques et privées avec des dizaines de milliers d’étudiants. . Des écoles secondaires que l’on pouvait compter sur le bout des doigts se trouvent désormais dans tous les départements du pays. Par conséquent, si la population a augmenté quantitativement, elle a également changé qualitativement. Le niveau de conception et de réflexion a évolué. Les gens se rendent de plus en plus compte que le monde n’est pas seulement leur village, que les faits peuvent être interconnectés et que ce qui peut sembler trivial à première vue peut en réalité être de la plus haute importance. On assiste donc à l’émergence d’une société civile de plus en plus éveillée, de plus en plus consciente de sa force. C’est ici qu’est révélé le blocus du convoi militaire français à Kaya. Cela dit, ce fait nous interpelle aussi car il faut beaucoup de discernement dans l’action. Sous prétexte de remettre en cause la présence française, nous ne devons pas mener d’actes désordonnés ou qui pourraient même s’avérer contre-productifs. Attaquant les intérêts français au Sénégal, les manifestants ont saccagé des supermarchés et des stations-service, mettant des milliers de Sénégalais au chômage. C’est alors que l’on peut se demander s’il est nécessaire ou utile de bloquer le convoi français. Le convoi n’était pas destiné au Burkina Faso mais à un pays tiers. Il venait de traverser le Burkina Faso. N’était-ce pas plutôt aux Nigérians d’accepter ou de ne pas accepter de le recevoir ? Les manifestants de Kaya n’ont-ils pas fait la même chose en accusant la France d’ingérence dans la politique des pays tiers ? S’il est donc vrai que l’opinion publique africaine est de plus en plus attentive, de plus en plus sensible, la nécessité de formuler cette même opinion est impérative pour l’empêcher de s’engager dans des aventuriers capables de manipuler pour des arrière-pensées. Comme disait Jean Jacques Rousseau, qui est ce philosophe qui, pour son propre intérêt, ne tromperait pas le monde entier ?
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