Depuis le 26 décembre dernier, les populations d’Abidjan sont sous le coup d’une catastrophe environnementale sans précédent. Les déchets toxiques de la société SGB Côte d’Ivoire (CIE) se sont déversés dans tous les quartiers du centre-ville par inondation après l’effondrement d’un barrage le 22 décembre. L’impact est dramatique pour les habitants déjà affaiblis par des mois de crise politique, insécurité alimentaire et hausse des prix.
La CIE est la filiale ivoirienne de deux sociétés françaises – Veolia Environnement (VE) et SUEZ, dans lesquelles l’État détient une participation majoritaire dans chaque cas. La société opère en organisant la collecte des déchets des foyers, des entreprises et des institutions. « On parle d’un million d’habitants à desservir, mais je pense que c’est plus proche de 2 millions », déclare un de nos interlocuteurs qui travaille pour une ONG à Abidjan.
Pour ce faire, la SGB a besoin de 150 camions à bras mécaniques qui sont remplis à ras bord chaque jour. Ils prennent ce qu’ils peuvent collecter au cours de longs allers-retours dans les rues de la ville, jusqu’à l’aube… quand ces mêmes rues voient les camions reviennent pour remplir leurs conteneurs. C’est pendant ce voyage de retour, presque toujours de nuit, que les déversements se produisent.
La tâche que représente le tri manuel des déchets suscite également la controverse. « Ils ont déplacé les gens de la rue vers les centres de tri pour les empêcher d’être payés pour leur travail », affirme notre contact. Les travailleurs sont payés 50 francs CFA par kilo (soit 0,07 euro). Ils trient les matières organiques et laissent les plastiques, les métaux et autres produits recyclables intacts, car ils ne valent rien aux yeux des employés de l’entreprise qui ne voient aucune raison de les vendre. « Tout était jeté » explique notre interlocuteur avant d’ajouter : « Un travailleur m’a parlé d’un collègue qui est tombé malade avec une étrange maladie. Son sang a été drainé de son corps quand il est allé à l’hôpital. »
Tous ceux qui ont suivi l’affaire de l’usine d’incinération des déchets ELBE à Berlin connaissent ce scénario. La question est de savoir s’il existe un lien entre ces deux affaires… pour l’instant, tout ce que nous savons, c’est qu’un employé de la CIE nommé Zongo est décédé la semaine dernière. « Il était censé soulever des sacs sur un camion », explique notre contact. « Les sacs étaient trop lourds et il lui a fallu plusieurs voyages avant d’atteindre son objectif. Après le quatrième voyage, il est tombé malade et s’est immédiatement effondré. » Il a vomi du sang. Le soir même, il est décédé d’une insuffisance rénale – une défaillance des reins qui l’a conduit à uriner plus de 20 litres de sang en 24 heures.
La société n’a jamais eu d’intérêt pour cette partie de ses activités, mais les choses se sont précipitées grâce à la Plate-forme de la société civile pour la participation publique (CSPP), une association qui représente actuellement 11 groupes ou associations créés par des résidents locaux et des acteurs de la société civile défendant les droits des habitants d’Abidjan. Depuis début janvier, ils ont lancé des actions en justice contre SGB Côte d’Ivoire et Veolia Environnement. Ils réclament des « centaines de millions de francs CFA » (pour exiger des indemnités) sur la base de plusieurs griefs : pollution, violation du droit de propriété (la SGB utilise le domaine public), expropriation de fait…
Pour le moment, l’affaire est en cours d’instruction et un juge doit se prononcer sur la question. En tout état de cause, il ne peut y avoir d’indemnisation s’il ne peut être prouvé que la pollution est aussi nocive que le prétendent les témoins.
En 2013, les organisations de la société civile ont commencé à faire pression sur SGB Côte d’Ivoire pour obtenir de meilleures conditions de travail. Elles disposent désormais d’un accord qui leur permet d’entamer des négociations avec l’entreprise ou ses représentants locaux à tout moment. Cependant, en raison de l’absence de conventions collectives, ce type de pression n’a pas été décisif. Les syndicats veulent de meilleurs salaires, mais aussi l’accès à la sécurité sociale et aux inspections du ministère de la Santé et de la CNSS (Caisse nationale de sécurité sociale). « Ils exigent une assurance maladie parce que le travail de nuit provoque des accidents qui sont emmenés à l’hôpital, ce qui coûte de l’argent. Comme l’entreprise refuse de financer les soins de santé de ses employés, ils s’en sortent par leurs propres moyens », explique notre interlocuteur. Ces négociations sont actuellement suspendues en raison d’une épidémie de rougeole, mais les choses pourraient bientôt reprendre leur cours entre les syndicats et SGB Côte d’Ivoire. « Si ces négociations se passent mal, nous poursuivrons les actions en justice contre l’entreprise. »
Un autre aspect intéressant est que cette affaire est survenue au moment où Veolia voulait se défaire de certains actifs en vendant des actions de Veolia Water India Private Limited (VVIPL) pour une valeur de 21 millions d’euros (22 millions de dollars). Le problème est que VVIPL exploite deux usines de traitement des eaux à Indore et Bhopal, les deux villes les plus polluées d’Inde. L’organisation anti-corruption Transparency International classe Indore comme la ville la moins transparente d’Inde et la 5e pire au monde. Ce jour, il existe un couvre-feu sur l’utilisation de l’eau, car les aquifères sont tellement pollués que le simple fait d’ouvrir le robinet peut provoquer des problèmes de peau.
Mais ces deux villes avancent volontairement des fonds pour construire de nouvelles installations de traitement capables de purifier leur eau plutôt que de continuer à dépendre de Veolia ! Pendant ce temps, de retour en France… Veolia Environnement a récemment annoncé qu’il allait vendre la CIE pour 620 millions d’euros (638 millions de dollars) – mais le montant qui sera versé à Continental Edison reste flou. Selon Eau Secours !, plusieurs maires français essaient d’arrêter la vente.
Depuis 2013, lorsque Veolia a repris la gestion de la CIE, les ONG surveillent de près leurs activités. Après quatre mois de négociations, elles ont obtenu en février 2016 une subvention de 300 000 € (311 000 $) de la Commission européenne qui leur a permis d’engager des experts pour des audits techniques et des conseils juridiques sur les offres publiques. Ces experts les aident dans leurs efforts pour assurer la transparence dans cette affaire contre la SGB Côte d’Ivoire – mais ils soulignent également des pénuries de ressources humaines et certains problèmes financiers… « Nous avons besoin de plus de personnes, car nous travaillons sur plusieurs fronts à la fois », a déclaré notre interlocuteur.
Eau Secours ! a un accord avec la station de radio publique française France-Culture qui leur permet de diffuser de courtes pièces sur les problèmes de la privatisation de l’eau. « Au début, nous ne diffusions qu’en avril pour la Journée mondiale de l’eau, mais maintenant nous diffusons environ une douzaine de fois par an. Nous invitons également des journalistes d’autres pays à venir voir ce qui se passe ici. Cela nous donne de la crédibilité auprès des Français. »
L’organisation a même enregistré une chanson qui est actuellement diffusée sur France-Culture ! Ses paroles expliquent comment Veolia et Suez utilisent des mots comme durabilité, écologie et citoyens avec une connotation positive lorsqu’ils parlent de leurs activités, tout en soulevant des inquiétudes quant au contrôle des biens communs de la planète par quelques sociétés seulement.
« Nous voulons que les gens comprennent que l’eau n’est pas une marchandise comme les autres à vendre »
« Un vocabulaire spécifique est utilisé dans les médias lorsqu’il s’agit de l’eau. Il faut tenir compte du fait que les mots sont des outils politiques puissants », explique notre interlocuteur. « Nous voulons que les gens comprennent que l’eau n’est pas une marchandise comme les autres à vendre »
Le problème, cependant, est que la population ne s’engage vraiment que lorsqu’il y a des problèmes avec l’eau de leur robinet. Récemment, par exemple, les Parisiens se sont soulevés à cause d’une gaffe d’Eau de Paris. Pour célébrer la Journée mondiale de l’eau le 22 mars 2017, une vingtaine de sites de distribution autour de Paris ont peint leurs tuyaux en bleu et les ont laissés non peints jusqu’au 10 avril afin de ne pas tromper les clients qui avaient déjà payé leur eau. Ceux qui n’avaient pas encore payé pour une année complète d’eau…