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L’abbé Marius Hervé Djadji reformule le ministre Amadou Coulibaly

Le dimanche 4 juin 2023, l’actuel président de la Conférence épiscopale de Côte d’Ivoire, dans son homélie, a regardé avec intelligence et critique la vie en Côte d’Ivoire. Avec un courage prophétique, il a dit tout haut tout ce que beaucoup d’Ivoiriens chuchotent dans leur bureau. Il a résumé la réaction de l’Ivoirien moyen à sa télévision. Le porte-parole du gouvernement, le ministre Amadou Coulibaly, a à son tour réagi lors de sa communication hebdomadaire du 7 juin 2023.

Côte d’Ivoire: un prêtre répond au porte-parole du gouvernement, le ministre Amadou Coulibaly

Ironie du sort, il a voulu ridiculiser l’évêque en lui faisant croire qu’il est un flatteur et que tous ceux qui l’ont applaudi après son homélie sont des disciples. Puisque le ministre et tous ceux qui soutiennent le pouvoir en place tirent sur l’évêque, je voudrais inviter le ministre à faire un petit détour historique pour lire ce que les évêques ont dit hier, pour comprendre que dans l’Église catholique en Côte d’ Ivoire, les évêques ne parlent pas selon qui est au pouvoir.

Ils parlaient devant le président Houphouët, quand les cadres du RDR étaient emprisonnés à l’époque du président Bédié, ils parlaient, quand le général Robert Gueï voulait confisquer le pouvoir, monseigneur Ahouana parlait. L’histoire est le juge objectif.

Alors Monsieur le Ministre, puisque vous êtes un spécialiste de la communication, revoyons ensemble ce que votre presse a dit hier.

Vous pouvez creuser plus profondément en parcourant des journaux comme Le Patriote et d’autres dans la période de novembre 2011 à janvier 2012.

On pourrait faire l’exercice ensemble à partir de 1960 jusqu’en 2012 mais comme vous avez beaucoup de travail, on fait juste quelques conférences de presse et au final on en déduit objectivement ensemble de quel côté est la flatterie :

Rappel

Le 22 février 2011, le Journal Nord-Sud écrit : « Mons. Antoine Koné, (évêque d’Odienné) : « L’Église doit dire la vérité et le pays sera libéré » : « Les élections se sont très bien passées ici, dans notre diocèse. Et mon diocèse, de la frontière du Mali et de la Guinée, de Konahiri à Mankono, Dianra, Tiéniboué, Touba, Ouaninou, toutes ces régions composent notre diocèse.

C’est vrai que nous n’étions pas partout à la fois, mais nos curés aux champs, nos religieuses et fidèles laïcs étaient partout. Tout le monde nous a dit que les élections se sont bien passées. Et cette vérité, on peut la garder. Pour éclairer nos frères qui sont de l’autre côté.

Et cette vérité, nous devons, en tant qu’hommes de Dieu, la dire. Parce que l’église n’est pas un parti politique. L’église sert l’évangile et l’évangile que nous servons est un évangile de vérité. Et il faut accepter de dire cette vérité pour que la Côte d’Ivoire soit libérée »

mercredi 27 avril 2011 | Le journal Nord-Sud écrit : Monseigneur Antoine Koné, évêque du diocèse d’Odienné : « Que les bourreaux confessent pour obtenir le pardon… »

12 janvier 2012 : Le Patriote écrit : Monseigneur Lézouthié à Gbagbo : « Cela n’a aucun sens de mourir en martyr » ; Mgr Ahouana : « Ils sont aveuglés par le pouvoir ».

Selon Abidjan.Net du 12 janvier 2012, Sur RFI, l’évêque de Yopougon a déclaré : « Je crois que Gbagbo a trop de mérites pour ne pas accepter la vérité » ; « la logique du cursus qu’il a lui conseille de quitter le pouvoir s’il perd l’élection ».

Ces propos de l’Evêque de Yopougon ont été largement relancés par la presse du pouvoir actuel, il y a eu des applaudissements notamment avec sa lettre dans laquelle il affirmait clairement que c’était le Candidat Ouattara qui avait remporté les élections.

Les propos notés ici viennent des évêques de Côte d’Ivoire, donc du monde réel, rapportés par de vrais journaux, proches de vraies personnes. Je pense que le ministre des Communications a bien applaudi, hier il n’avait pas traité ces évêques de flatteurs. Dans son salon, il les appelait prophètes.

Je voulais juste vous dire que les évêques catholiques ont toujours réagi dans ce pays en prenant des positions courageuses. Ils ne parlent pas beaucoup, mais ils ne portent pas de gilets pare-balles quand ils le font. Le cardinal Yago n’applaudissait pas le président Houphouët Boigny tous les matins.

Que dit à son tour Monseigneur Marcellin pour être applaudi et porté sur ses épaules avec la poudre au visage par le Ministre ?

Le Président de la Conférence aurait dû dire qu’en Côte d’Ivoire il y a la réconciliation, tout le monde est content, on s’embrasse, la Justice condamne les coupables, quand on sait tous et vous savez que depuis 2011 un seul camp a été jugé, passé à tabac tandis que les bourreaux, les rebelles sont des ministres, des généraux, des colonels, des ambassadeurs, des présidents d’institutions, pensez-vous qu’une telle justice puisse apaiser les cœurs ?

Dites merci à Monseigneur d’avoir fait la lumière sur ce que ressentent des millions d’Ivoiriens. Il faut juste en tenir compte pour que le gouvernement fasse des efforts dans ce sens.

Que disait Monseigneur pour plaire aux loueurs du pouvoir ?

Monseigneur Marcellin était-il censé dire qu’en Côte d’Ivoire il n’y a pas de recherche clandestine d’or soutenue par des industriels cachés ? alors que vous savez comme moi, Monsieur le porte-parole du gouvernement, qu’au centre, au nord, à l’ouest il y a des zones occupées, des villages sous la domination de bandes armées. Dites merci à Monseigneur de vous avoir fait découvrir la souffrance des Ivoiriens.

Que disait l’évêque de Daloa pour être porté en triomphe ?Mgr Marcellin devait-il dire qu’en Côte d’Ivoire tout le monde mange bien, tout le monde se soigne, on a de l’eau partout, des routes partout ?

Monsieur le ministre, vous savez comme moi que ce n’est pas la vérité. Il y a des Ivoiriens qui luttent pour avoir de l’eau potable. On sait que les Ivoiriens vivent encore dans la misère, avec des dispensaires vides à 5 km, sans médicaments. On sait qu’en Côte d’Ivoire pour passer un CAT scan il faut parcourir des centaines de kilomètres.

On sait tous qu’en Côte d’Ivoire il suffit d’un peu de pluie pour que les routes inaugurées deviennent impraticables. Que doit dire le Président de la Conférence épiscopale pour qu’il soit le chouchou du Pouvoir ? L’évêque devait-il dire qu’il y a une sécurité pour tous les Ivoiriens ?

Ministre, porte-parole du gouvernement et quiconque insulte l’évêque, vous savez avec moi que tout le monde n’est pas dans le même bateau. Certains ont toute une poudrière chez eux pour les protéger tandis que d’autres peuvent être tués par des enfants, on peut jouer au foot avec leurs crânes sans réaction.

L’évêque a seulement noté ce qu’il y a là pour que vous en teniez compte dans votre plan gouvernemental parce que quand vous êtes dans une voiture blindée avec des vitres teintées et des gyrophares vous ne voyez rien du tout.

Qu’est-ce que le ministre avait à dire pour être un homme de vérité?

Le Ministre dira que les Universités de Côte d’Ivoire sont parmi les cinq meilleures d’Afrique, tout va bien dans nos écoles, il n’y a pas de réseaux anti-drogue, les enfants ne frappent pas les professeurs pour les permis, le taux de réussite est excellent, les jeunes refusent de prendre le chemin de l’immigration clandestine.

Monsieur le ministre, vous savez comme moi que c’est un mensonge. Nos enfants sont devenus des brouteurs, d’autres ont des armes et sont devenus, selon votre gouvernement, des enfants en conflit avec la loi.

Le virus de la gloire

Depuis que vous êtes au pouvoir, la critique vous démange. Ceux que vous appeliez hier prophètes deviennent aujourd’hui des flatteurs L’Église catholique est flatteuse et contre le pouvoir parce qu’elle ose dire la vérité.

Tout le monde doit vous applaudir, danser devant votre cortège. Tant qu’un évêque parle, vos fidèles qui se disent catholiques vont à la cathédrale danser l’adjanou d’un pas diaboliquement enragé.

Monsieur le ministre, tout le monde dans ce pays ne peut pas vous applaudir. Même Dieu n’est pas applaudi tous les matins. Dieu le créateur ne fait pas l’unanimité. En créant l’homme, il lui a inculqué la liberté, le libre arbitre. Pour cette raison, sa propre créature est libre de lui dire non.

Alors Monsieur le Ministre, il y aura toujours des hommes et des femmes, des prêtres, des évêques, des pasteurs, des imams, des enfants et des jeunes qui diront non. Gouverner ne veut pas dire encens. Dans l’Église catholique, seul Dieu est loué, dans l’Église catholique on chante la Gloire à Dieu En dehors du Dieu trinitaire, il n’y a pas d’être sur la terre devant lequel tout genou plie.

Vous parlez de flatterie. Avez-vous osé appeler les fidèles qui ont acclamé des disciples, parce qu’ils ont acclamé la parole de Dieu ? Si on veut parler de flatteurs et de suiveurs, je pense que c’est dans votre domaine qu’il faut chercher car dans l’Église catholique il y a un peuple de Dieu et non des suiveurs et des flatteurs.

Père Marius Hervé Djadji

Docteur en théologie dogmatique de l’Université catholique de Louvain la Neuve

Professeur de théologie dogmatique

Contact: [email protected]

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