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Au Mali, un référendum constitutionnel pour ouvrir la voie à des élections présidentielles pour les putschistes.

Le projet de constitution soumis au vote dimanche 18 juin accroît les pouvoirs du chef de l’Etat, qui pourra avoir l’initiative des lois au même titre que les parlementaires.

Premier scrutin organisé par les militaires depuis le coup d’Etat d’août 2020, le référendum constitutionnel qui se tient dimanche 18 juin au Mali devrait, si le oui l’emporte – ce dont personne ne doute – donner au pays sa pleine souveraineté, selon le président du gouvernement de transition, le colonel Assimi Gota.

Symboliquement, selon le projet de nouvelle constitution, rédigé sur fond de rupture diplomatique avec Paris et de rapprochement avec Moscou, le français perdrait son statut de langue officielle d’expression pour devenir une simple langue de travail. Plus décisif pour l’avenir politique du Mali, le vote de ce texte devrait surtout accroître les pouvoirs du chef de l’Etat et pourrait ouvrir la voie à une candidature aux futures élections présidentielles des acteurs de la transition, au premier rang desquels le numéro 1 de la junte.

Reporté de trois mois au mois de mars pour permettre, selon le discours officiel, une meilleure diffusion du texte, la distribution des bulletins de vote et le déploiement de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) dans les circonscriptions, ce référendum servira déjà de test sur la capacité de l’État malien à organiser un vote à l’échelle nationale, alors que des zones entières du pays, en proie aux violences djihadistes, fragilisent son autorité et que l’élection présidentielle est toujours fixée à février 2024. On ne sait pas si les élections locales et législatives qui devaient les précéder auront lieu.

Le taux de participation traditionnellement faible au Mali pourrait servir d’indicateur, mais reflétera-t-il la mobilisation réelle des électeurs ? Ibrahima Sangho, Président de l’Observatoire des élections et de la bonne gouvernance au Mali, a déclaré que dans le centre du pays, en raison de la situation sécuritaire, les élections n’ont pu se tenir que dans les principales villes, et il s’inquiète de la confusion qui règne dans les bureaux de vote. Un élu local, sous couvert d’anonymat, prédit déjà une élection truquée : « Les scores seront dignes du Core du Nord, car l’administration fera le travail des lecteurs là où il n’y aura pas de vote, comme dans la région de Mopti. Comme pour les législatives de 2020, ce sont les préfets et sous-préfets qui établiront les procès-verbaux.

Les observateurs expulsés de Gao et Tombouctou
Le dimanche 11 juin, le vote anticipé des militaires a été bien suivi, sauf à Kidal où il n’a pas eu lieu, selon la Coalition pour l’Observation Citoyenne des Elections au Mali (Cocem). Ces observateurs accrédités, dont les représentants ont été expulsés de Tombouctou et de Gao par l’AIGE, ont également constaté que les listes électorales n’avaient pas été affichées et que les listes électorales pré-imprimées et les cartes biométriques manquaient dans 85% des bureaux de vote observés.

En réalité, la campagne électorale se déroule dans le calme, rapporte le politologue Kalilou Sidib : Mais c’est parce qu’il n’y a qu’une seule offre : oui. Chaque jour, nous recevons deux ou trois SMS sur nos téléphones, de personnes que nous ne connaissons pas, nous disant d’aller voter pour la nouvelle constitution. L’autre camp n’existe pas. Bien que la plupart des grands partis politiques et des organisations de la société civile appellent à voter pour ce projet de constitution, il n’y a pas de consensus à ce sujet.

Dans le nord du pays, contrôlé par d’anciens rebelles indépendantistes et d’autres milices, tous regroupés au sein du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), les médiateurs internationaux ont pris des mesures pour permettre la tenue du vote, tandis que les groupes armés demandent un report. Les groupes armés estiment que le texte ne tient pas compte de l’accord de paix signé avec le gouvernement en 2015 et menacent d’organiser un autre dimanche sans vote dans leurs régions.

À Bamako, les chefs religieux réunis au sein de la Ligue malienne des imams et savants (Limama) ont exprimé leur opposition au texte, qui réaffirme l’attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’État, au motif qu’il ne correspond pas aux valeurs religieuses et sociales du pays et qu’il ne peut y avoir de véritable reconstruction du Mali, ancienne terre d’islam, sans référence à Dieu.

Au sein de la classe politique, la Convergence pour le développement du Mali (Codem) conteste la légitimité d’un pouvoir qui n’est pas sorti des urnes pour réformer la loi fondamentale. Le Mouvement du 5juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), dont les mobilisations ont largement contribué à la chute du président Ibrahim Boubacar Keta (IBK) et au coup d’Etat militaire de 2020, avant de se scinder, a annoncé le 3 juin, par la voix de l’ancien Premier ministre Modibo Sidib, un projet de Constitution. [qui] qui renforce le déséquilibre des pouvoirs en faveur du président de la République, qui règne en monarque.

Des prérogatives accrues pour l’armée
En cas d’adoption, le chef de l’Etat sera désormais responsable de la détermination de la politique nationale avec un gouvernement responsable devant lui et non plus devant l’Assemblée nationale. Il pourra également avoir l’initiative des lois au même titre que les parlementaires. Les prérogatives des forces armées seront également renforcées, notamment dans le domaine du maintien de l’ordre, ce qui pourrait conduire les forces armées à effectuer des missions de maintien de l’ordre.

Enfin, si le texte soumis au vote ne réaffirme pas le caractère imprescriptible du crime de coup d’État, comme c’était le cas dans la Constitution de 1992, la nouvelle version précise que les actes commis avant un coup d’État sont imprescriptibles. [sa] Les actes commis avant le coup d’État, qui étaient couverts par les lois sur la sédition, ne pouvaient en aucun cas être poursuivis. C’est une façon pour les personnes qui ont renversé IBK de préserver leur avenir des tribunaux et, peut-être, de se préparer à rester au pouvoir au-delà de la période de transition. Une fois la Constitution approuvée, la Charte de transition [qui fixe le cadre lgislatif de cette priode et stipule que le prsident de la transition ne pourra se prsenter aux prochaines lections] sera déclarée nulle et non avenue. L’objectif des militaires est de conserver le pouvoir », déclare le politologue Kalilou Sidib.

Plusieurs observateurs et acteurs de la vie politique malienne prévoient le même scénario qui, selon eux, ne peut être évité par une classe politique discrète. Aujourd’hui, personne au Mali ne se déclare publiquement opposant et, comme le dit une source locale, ce n’est pas forcément la force qui empêche les gens de s’exprimer, mais le pays est devenu binaire et s’y opposer, c’est courir le risque d’être perçu comme un partisan de l’étranger, avec tous les dangers que cela comporte.

Conscients de leur popularité dans les rues de Bamako, les putschistes maliens profitent également d’un climat politique favorable en Afrique de l’Ouest. Ce qui se passe en ce moment au Sénégal est extrêmement important pour nous », déclare un homme politique malien sous couvert d’anonymat. Si le président Macky Sall décide de briguer un troisième mandat en février 2024, personne dans la région ne pourra dire aux militaires de céder le pouvoir.

Cyril Bensimon

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