CONAKRY – Alors que les autorités maliennes exigent le retrait immédiat de la MUNISMA de leur territoire, Bah Oury vient de mettre en garde contre les risques d’une telle décision. Dans cette interview, l’homme politique guinéen, qui suit de près la situation sécuritaire au Sahel, analyse en détail la crise latente dans le pays voisin de la Guinée. Il appelle la CEDEAO à agir avant qu’il ne soit trop tard.
AFRICAGUINEE.COM : Le gouvernement du Mali a officiellement demandé le retrait immédiat de la MUNISMA de son territoire. Que pensez-vous de cette décision ?
BAH OURY : Je suis très préoccupé par la situation politique et sécuritaire au Mali. Il est vrai qu’il y a des tonalités souverainistes de la part des dirigeants actuels du pays, mais en ce qui concerne la sécurité du territoire, demander le départ de la force internationale comporte beaucoup de risques pour l’avenir. Dj, avec le départ de Barkane et l’arrivée de forces paramilitaires liées à la Russie, n’a pas contribué à créer un climat de sérénité et de sécurité sur une grande partie du territoire malien. Si, dans ce contexte, la force de l’ONU est contrainte de quitter ce territoire, ce sera comme si le Mali était dans un camp fermé avec des forces djihadistes, des milices communistes et des forces paramilitaires de Wagner, ce qui risque d’aggraver la situation sécuritaire sur ce territoire.
En tant que Guinéens, il est vrai que nous devons avoir une certaine réserve par rapport aux affaires intérieures de nos voisins, mais la communauté de destin nous amène à ne pas fermer les yeux sur les grands risques que court le Mali pour préserver son unité et la sécurité de toutes les communautés et populations qui habitent ce vaste territoire.
Les Nations Unies ont récemment produit un rapport accablant sur le massacre de Moura. Ce rapport indique la responsabilité de certains hauts dirigeants de la junte dans ce massacre. Cela n’a-t-il pas contribué à radicaliser la position des autorités maliennes vis-à-vis de l’ONU ?
C’est possible. Parce que le massacre de Moura interpelle non seulement la communauté internationale, mais aussi la CEDEAO en particulier et l’Union africaine, sur la sécurité de toutes les communautés ethniques qui composent le Mali. Donc, si rien n’est fait contre cette guerre asymétrique, la situation risque de s’aggraver considérablement. Nous passerons d’une guerre asymétrique de nature djihadiste à une véritable guerre civile, qui n’opposera pas les djihadistes aux forces armées maliennes, mais les communautés elles-mêmes. Et cela sonnera le glas de la souveraineté de ce vaste territoire qui nous est si cher et si proche.
C’est pourquoi la classe politique malienne et les forces de défense et de sécurité maliennes chargées de gérer cette transition devraient faire preuve de beaucoup plus de retenue et de responsabilité dans leurs décisions, au risque d’isoler davantage le Mali et de faire en sorte qu’au cœur du Sahel, dans ce vaste territoire, il y ait des sanctuaires susceptibles de déstabiliser une grande partie de l’Afrique de l’Ouest. C’est pourquoi je ne peux pas rester devant ce danger sans réagir pour tirer la sonnette d’alarme. Car c’est ainsi que de vastes territoires ont basculé dans la guerre. Les premiers signes ont été minimisés. Et puis, par un effet domino, c’est toute une région qui s’est enlisée.
L’intégrité du territoire malien est importante à la fois pour le Mali et pour tous les pays voisins. Parce que nos frontières sont fragiles, nos communautés ethniques vivent de part et d’autre du territoire. Ce qui pourrait conduire à la dislocation d’un de nos territoires pourrait affecter les autres. Le Soudan en est un parfait exemple. Aujourd’hui, ce pays est plongé dans une explosion qui risque de l’enfoncer davantage.
Que doit faire la CEDEAO ?
A mon avis, la CEDEAO devrait considérer la question de la stabilité du Mali et de la stabilisation du Sahel comme un élément important. Ce ne doit pas être une question périphérique, mais un élément central de la politique de la CEDEAO.
Face à une junte visiblement hostile à toute critique, ne pensez-vous pas que la marge de manœuvre de la CEDEAO est limitée ?
La situation est assez grave. Je dois dire qu’à l’heure actuelle, ce sont les Maliens eux-mêmes qui sont face à leur destin et à leur histoire. C’est à eux de définir ce que sera le Mali. S’ils développent des attitudes qui les isolent du reste du monde, il est évident que les conséquences pourraient être désastreuses pour l’État malien lui-même. Et ce serait dommage, car ils seraient certes affectés, mais tout le Sahel n’en sortirait pas indemne. La responsabilité collective doit primer. Malheureusement, le leadership au sein de la CEDEAO et de l’Union africaine et la dynamique des politiques gouvernementales ne sont pas en phase avec les attentes de la population. Par conséquent, la crise malienne est symptomatique d’une crise globale.
Cela nous amène à repenser ce que nous faisons et à nous poser la question : devons-nous privilégier les facteurs externes au détriment des facteurs internes ? Je pense qu’en toute chose, le facteur interne prime sur le facteur externe. Donc, si un Etat a besoin de la communauté internationale ou régionale pour garantir sa sécurité et rétablir une paix relative, il faut que les autorités et l’élite de ce pays soient suffisamment motivées et ne pensent pas que l’extérieur va faire le travail à leur place. Si nous pensons que c’est le monde extérieur qui apportera la paix, la sécurité et le développement, nous faisons fausse route.
Interview par Diallo Boubacar 1
Pour Africaguinee.com