La 63e session de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (AP OACP, 19-25 juin) et la 43e session de l’Assemblée parlementaire paritaire de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique-Union européenne (APC OACP-UE, 25-28 juin 2023) se sont achevées à Bruxelles, en Belgique, le 28 juin 2023.
Le Mali participe régulièrement à cette réunion clé, où les pays défendent leurs intérêts collectivement et individuellement, et était représenté par une forte délégation du Conseil national de transition (CNT), dirigée par son 1er vice-président, l’honorable Assarid Ag Imbarcaouane. L’équipe malienne était composée de trois autres personnes : l’honorable Nouhoum Dabitao, 1er questeur, Drissa Kéita, chef de cabinet du président du CNT, et Ramata Diaouré, membre du CNT. Les représentants maliens ont été accueillis à la Gare du Midi le mardi 20 juin 2023 par S.E. El Hadji Alhousseini Traoré, ambassadeur du Mali à Bruxelles, et certains de ses proches collaborateurs.
Subtilité et complexité
Il faut noter d’emblée que les parlementaires maliens sont arrivés dans la capitale de l’Europe avec 24 heures de retard, en raison de leur participation au vote du référendum du 18 juin. Il faut également noter que l’Assemblée parlementaire est le troisième organe de l’OEACP après le Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement et le Conseil des Ministres. La 63ème session de l’AP OEACP, qui vient de s’achever, est une activité autonome de l’OEACP. En tant que telle, elle se déroule exclusivement entre les 79 membres au siège de l’organisation conjointe. Comme d’habitude, les travaux commencent par d’interminables préliminaires et se poursuivent en trois (3) commissions :
– La Commission du développement économique, des finances et du commerce ;
– La commission des affaires sociales et de l’environnement ;
– La commission des affaires politiques.
La subtilité de la pratique parlementaire veut que ces trois commissions soient transversales aux deux sessions parlementaires (AP EACP et APP EACP-UE) et que, très logiquement, leurs travaux préparent ceux de la session parlementaire conjointe avec leurs collègues européens, dont le cadre est, cette fois, le Parlement européen. Ces deux sessions se déroulent à un moment crucial de la vie de l’organisation, qui connaît un processus de changement, passant de l’organisation originelle (ACP) à la nouvelle entité (EACP), en vue de la conclusion d’un nouvel accord (dont nous parlerons plus loin).
Le Mali est membre de la Commission des affaires politiques dont les travaux, dans la version OEACP (63ème session), sont présidés par l’Honorable Assarid AG Imbarcaouane. Cependant, dans la version conjointe (43ème APP ACP-UE), il partage cette responsabilité avec son collègue allemand Jean-Christophe Oetjen, du Groupe Renouveau.
Le commerce à la limite
Du haut du perchoir de la commission des affaires politiques, il aurait été inconvenant que le 1er vice-président du CNT allume la mèche qu’il maîtrise si bien. Cette tâche a été confiée au diplomate malien envoyé à Bruxelles, l’Ambassadeur El hadji Alhousseini Traoré, qui a « fait le job » en présentant une photographie de la situation sociopolitique et sécuritaire du pays, en soulignant les nouveaux principes qui guident l’action publique au Mali, la montée en puissance des Forces de Défense et de Sécurité et la détermination inébranlable des Autorités de Transition à ramener le pays à une vie constitutionnelle normale à l’issue d’un processus pacifique et inclusif. L’Ambassadeur Traoré a particulièrement insisté sur le succès du référendum constitutionnel dont les résultats, au moment où il s’exprimait, seraient publiés prochainement.
Les parlementaires membres de la commission des questions politiques ont pris la parole à tour de rôle pour présenter les derniers développements dans leurs pays respectifs. Au cours de ce qui a semblé être une éternité de présentations, suivies de débats animés, les membres de la Commission ont voyagé de la région des Grands Lacs à la Corne de l’Afrique, en passant par la RDC (République démocratique du Congo), le Rwanda, le Soudan, le Tchad, la Somalie, etc.
Ce cœur battant de l’Afrique est déchiré par de nombreux conflits qui jettent des centaines de milliers, voire des millions de personnes à la rue et aggravent des crises humanitaires abominables alimentées par la pauvreté.
Dans cette atmosphère dominée par les crises humanitaires, le manège atteint son paroxysme lorsque le chef de la délégation de la RDC prend la parole pour dénoncer la guerre impérialiste que son pays subit de la part des puissances étrangères et de leurs valets locaux. Sans jamais mentionner le Rwanda, la délégation de la RDC a cloué au pilori un pays voisin qui entretient l’instabilité dans la partie orientale de son territoire en finançant des milices sanguinaires et en pillant ses ressources minérales. Elle a même utilisé la terminologie d' »État voyou », qui rappelle le lexique des néo-conservateurs américains de l’époque de Bush Jr.
La réponse du Rwanda, bien qu’elle ne soit pas sur le même ton, a été tout aussi vive et incisive. Il a fallu toute la dextérité du « doyen Assarid » pour abréger ce combat à couteaux tirés, qui avait entrepris de prendre les débats en otage.
La voix du Mali
Assarid lui-même sortira le lendemain, vendredi 23 juin 2023, lors de l’ouverture officielle de la séance plénière de la 63e session de l’Assemblée parlementaire de l’OEACP, présidée par l’honorable Ana Rita Sithole du Mozambique, présidente de l’Assemblée parlementaire de l’OEACP et coprésidente de l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE. Pour le premier vice-président du CNT, la présentation de Diene Kéita, sous-secrétaire général des Nations unies et directeur exécutif adjoint du FNUAP, a été une aubaine. Prenant fait et cause pour son collègue ougandais, dont le pays a criminalisé les « déviations sexuelles », connues en Europe sous l’acronyme LGBTQ+ (Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Trans, Queer, Intersexes et autres identités de genre), le parlementaire malien a enfoncé le clou.
Elle a totalement nié la légitimité des Européens à faire entrer la question du genre dans le champ de leur coopération. Ces questions, a-t-il rappelé, relèvent de la responsabilité des Etats de l’OEACP. Il est allé plus loin en invoquant la souveraineté des États de l’OEACP, qui n’accepteront jamais aucun « oukase » de quelque partie que ce soit dans ce domaine. La déclaration du doyen Assarid, diffusée par l’ORTM et le site web et les réseaux sociaux de l’Ambassade du Mali à Bruxelles, est devenue virale et continue de figurer parmi les vidéos les plus vues et les plus partagées sur de nombreuses plateformes.
Décompressés et le cœur lourd face à une Europe perçue comme égoïste et calculatrice, les parlementaires se sont battus pour se faire entendre. Malgré leurs réalités spécifiques et les barrières linguistiques, les délégués de l’OEACP ont été admirables dans la cohérence de leur langage et les jeux de rôles parfaitement huilés qui leur ont permis de couvrir l’ensemble des griefs à l’égard des Européens. Ces griefs vont de l’instrumentalisation de la question migratoire aux promesses non tenues de soutien à l’atténuation des conséquences du changement climatique, en passant par les droits de l’homme, la parcimonie avec laquelle les visas sont accordés, même aux fonctionnaires, et le déséquilibre commercial criant en faveur de l’Europe, la spécialisation de l’OEACP dans le rôle ingrat de fournisseur de matières premières, l’absence ou le manque d’enthousiasme dans le domaine du transfert de technologies, la course d’obstacles que constitue l’aide au développement, le poids de la dette, l’aveuglement des Européens face à la misère et aux conflits qui ruinent les pays membres de l’OEACP, etc.
Autant de casus belli qui cristallisent l’ire des parlementaires de l’OEACP, bien décidés à le dire sans filtre à leurs homologues européens.
S’ils ont pu donner l’impression d’être mal préparés lors de la session de février, les parlementaires de l’OEACP ont retenu la leçon et feront front commun contre les 27.
Changement de décor
Le 25 juin 2023, les parlementaires de l’OEACP se sont rendus en grande pompe au Parlement européen pour la deuxième phase de leurs travaux : la 43ème session de l’Assemblée parlementaire paritaire OEACP-UE.
Le déroulement de la 43e session a été dominé par trois préoccupations principales : (a) les matières premières critiques, la transition énergétique et le changement climatique dans la coopération UE-ACP ; (b) les menaces hybrides ; et (c) la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies.
Deux (2) sujets urgents accompagnés de résolutions étaient également à l’ordre du jour : la situation humanitaire et sécuritaire en Haïti et la situation humanitaire dans les pays de l’OEACP touchés par le terrorisme et l’extrémisme violent (dernier point proposé par le Mali et primé).
Il faut dire que notre pays était visé par cette dernière résolution. Comme prévu, notre délégation a joué son rôle dans les coulisses et au sein du Comité de conciliation pour arrondir les angles du projet de résolution. Au final, nos parlementaires ont bataillé ferme pour obtenir une résolution qui les satisfait, et ont pu clairement pavoiser lors de la session plénière d’ouverture.
Les débats conjoints dans les trois commissions permanentes, l’ouverture formelle de la 43e session le 26 juin et le vote des propositions de résolution (les résolutions des commissions permanentes et le vote des résolutions d’urgence) se sont déroulés presque dans le même ordre.
Les commissions permanentes ont discuté des sujets suivants :
– Renforcer la coopération en matière de sécurité maritime et promouvoir l’état de droit dans les océans ;
– La liste de l’UE des pays et territoires qui ne coopèrent pas à des fins fiscales et la liste des pays tiers dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ;
– Renforcer la solidarité parlementaire et la volonté politique en faveur de la sécurité routière dans les Etats membres de l’OEACP et dans l’Union, y compris en ce qui concerne la sécurité des infrastructures. )
En ce qui concerne le dernier acte de la session, le vote des résolutions par les deux parties, les parlementaires de l’OEACP ont encore à l’esprit le fait qu’ils ont eu moins de succès dans cet exercice en février dernier. Pour assurer une salle pleine, Dean Assarid a été prié de prendre sa place à la présidence avec les co-présidents lusophones Ana Rita Sithole (Mozambique) et Carlos Zorrinho (Portugal).
La stratégie est payante et les résolutions, dont certaines font l’objet d’un vote séparé, sont adoptées ou rejetées conformément aux instructions de vote.
Attentes, malentendus et inquiétudes
Bruxelles s’anime ! Les parlementaires de l’OEACP, pour la plupart, sont rentrés dans leurs capitales respectives avec le sentiment du devoir accompli. Mais ils ne s’y trompent pas et savent que l’avenir de leur partenariat avec les 27 est aujourd’hui en pointillé. En effet, depuis le début de l’opération spéciale russe du 24 février 2022, l’Europe a les yeux rivés sur l’Ukraine, la région méditerranéenne, les blocs émergents et sa relation transatlantique.
Afin de marquer un certain appauvrissement de l’ancienne relation privilégiée EEACP-UE, les 27 ont choisi la manière forte en imposant dans le nouvel accord la pilule amère de trois (03) assemblées correspondant à l’Afrique, aux Caraïbes et au Pacifique. Ce faisant, l’UE aurait été en position de force vis-à-vis de chaque bloc et aurait imposé ses vues.
Malgré cette trahison malveillante, les pays de l’OEACP n’ont pas l’intention de céder. Ils exigent que l’Europe, et ils le disent urbi et orbi, les considère pour ce qu’ils sont, en l’occurrence leurs égaux. Leur avis doit être sollicité et pris en compte dans tous les domaines. Pour rappel, l’OEACP regroupe 79 pays membres de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, qui négocient avec l’Union européenne dans le cadre d’un accord connu sous le nom d’accord de Cotonou, qui a expiré il y a deux ans. Un nouvel accord a été conclu à l’issue d’un cycle de négociations laborieuses. Il devait être signé à Apia, capitale des îles Samoa dans le Pacifique, mais s’est heurté au blocage incompréhensible de la Hongrie (dont la réserve a été levée depuis) et de la Pologne.
Afin d’éviter un vide juridique au 30 juin 2023, les 27 pays de l’UE ont proposé un délai supplémentaire de quatre (4) mois aux 79 membres de l’OEAPC, en espérant que ce délai soit suffisant pour que la Pologne seule lève ses réserves, qui pénalisent un partenariat antérieur à son adhésion à l’UE, qui ne date que du 1er mai 2004.
Diarra Diakité, Ambassade du Mali à Bruxelles