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Olivier Dubois, journaliste malien d’origine martiniquaise, avait prévu d’interviewer Abdallah Ag Albakaye, un dirigeant du Groupe de soutien l’islam et aux musulmans, une alliance d’Al-Qaïda au Sahel. Le jour de l’interview, le 8 avril 2021, il a été enlevé et retenu en captivité pendant 711 jours. Le journaliste a récemment été interrogé sur le « rôle occulte » joué par un intermédiaire.
Outre-mer La 1re avec AFP Publié le 4 juillet 2023 12h52
Peut-on reprocher à l’armée française de ne pas avoir empêché l’enlèvement du journaliste Olivier Dubois au Mali en 2021 ? Une hypothèse peu probable, selon des sources proches du dossier, qui rappellent que le reporter a été récemment interrogé sur le « rôle trouble » d’un intermédiaire.
Olivier Dubois, reporter français d’origine martiniquaise basé au Mali, devait interviewer Abdallah Ag Albakaye, un dirigeant du Groupe de soutien l’islam et aux musulmans (GSIM, ou JNIM selon son acronyme arabe), une alliance d’Al-Qaïda au Sahel. Le jour de cet entretien, le 8 avril 2021, il a été enlevé et retenu en captivité pendant 711 jours.
En mai dernier, plusieurs médias ont fait état de l’enquête du Parquet national antiterroriste (Pnat), selon laquelle les forces armées françaises auraient été informées des projets d’Olivier Dubois et connaîtraient même le nom de la rue où le reporter aurait été emmené le jour de la prétendue interview. Reporters sans frontières avait alors dénoncé la « mise en danger » de la vie du journaliste, qui a été libéré le 20 mars.
L’arme n’a pas fonctionné ? Une source proche de l’enquête a expliqué que, selon les auditions des militaires impliqués dans l’enquête préliminaire, les forces armées françaises n’ont pas joué un « rôle actif » dans la facilitation de la rencontre et n’ont pas utilisé Olivier Dubois comme un « accessoire », soulignant que le journaliste était à l’origine de l’interview prévue. D’où l’ouverture d’une information judiciaire en octobre 2022 pour enlèvement et séquestration organisés en relation avec une entreprise terroriste, et non pour mise en danger de la vie d’autrui.
Double peine
Par ailleurs, les récentes auditions d’Olivier Dubois en mai à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) puis devant deux juges d’instruction antiterroristes à Paris le 23 juin « ne visaient pas l’arme », mais essentiellement à aider à « identifier les ravisseurs djihadistes » et à éclaircir « le rôle trouble » d’un intermédiaire, a expliqué une source proche du dossier. Maître Antoine Casubolo Ferro, l’avocat du journaliste, s’est refusé à tout commentaire.
L’intermédiaire est un Touareg de la région de Gao, qu’Olivier Dubois connaissait depuis 2016 et à qui il avait demandé de l’aider à organiser l’interview d’Abdallah Ag Albakaye. Il a été recruté en 2019 par la force anti-jihadiste française Barkhane, spécifiquement pour aider à la capture d’Abdallah Ag Albakaye. Et il était en possession de l’arme utilisée dans le plan d’Olivier Dubois, selon des informations judiciaires obtenues par l’AFP.
Dans son audition, l’officier de Barkhane en charge de l’intermédiaire a déclaré avoir alerté sa hiérarchie « sur la possibilité d’un projet d’enlèvement » dès le 23 mars 2021, en se fondant sur plusieurs signaux inhabituels, comme la souplesse d’Abdallah Ag Albakaye qui avait accepté de reporter la rencontre. Mais il a aussi expliqué aux enquêteurs qu' »il n’avait pas reçu l’ordre » d’empêcher la rencontre entre le journaliste et le djihadiste.
« Deuxièmement, si j’avais demandé (à l’intermédiaire), il ne l’aurait pas fait », poursuit le militaire, car « s’il avait tenté d’annuler ou de saboter cette rencontre, il y aurait eu des représailles » contre lui de la part du groupe djihadiste.
Un malentendu
Surtout, Olivier Dubois aurait pu trouver un autre négociateur, selon l’officier. « Dans ce cas, en rompant le contact avec (l’intermédiaire), nous aurions été totalement aveugles à cette rencontre ».
Les militaires responsables ont également expliqué à la DGSI que la mise en garde des citoyens français contre les risques encourus relevait du rôle de l’ambassade qui, selon eux, avait été alertée de manière adéquate.
Une source diplomatique a assuré à l’AFP qu’une « lettre rouge » avait été envoyée au journaliste le jour de son enlèvement, « à la suite d’une réunion la veille avec l’ambassade, où les mêmes instructions lui avaient déjà été données » lorsque le journaliste avait prévenu de son voyage la veille. Il semble qu’il y ait eu un « malentendu » dans cette affaire, indique la source proche du dossier, qui estime que l’ambassade aurait pu avertir « plus clairement » Olivier Dubois du risque d’enlèvement.
Dans le même temps, l’armée a produit un rapport interne basé sur des informations classifiées, révélant des lacunes et « un manque collectif de lucidité et une discontinuité de l’information et de la géographie », mais n’identifiant « aucune faute personnelle ».
L’Inspection des armes reproche à l’intermédiaire touareg, inculpé au Mali pour association de malfaiteurs terroristes, d’avoir voulu « le beurre et l’argent du beurre » : elle l’accuse d’avoir tenté de « livrer un journaliste français à un groupe armé », « tout en permettant à la force Barkhane de capturer un chef du groupe armé » en échange d’une compensation.