Depuis peu, des citoyens de Bamako disparaissent et reviennent comme si de rien n’était. Et après, c’est le silence radio, les victimes ne disent rien, ne portent pas plainte, la justice s’abstient d’ouvrir des enquêtes pour faire la lumière, sans doute encouragée par l’indifférence des autorités. C’est pourquoi il est temps d’agir, car laisser perdurer cette pratique, c’est aussi sacrifier les maigres acquis de la démocratie et permettre au pays d’avancer sur une nouvelle pente glissante !
Si nous n’y prenons garde, le Mali n’aura rien à envier à la Colombie et au Mexique (pays où au moins cinq personnes sont enlevées chaque jour pour les faire taire ou leur extorquer une rançon), où le kidnapping est devenu un moyen de pression et aussi une source de revenus pour les cartels de la drogue et les réseaux du crime organisé qui y prolifèrent. En effet, les enlèvements deviennent monnaie courante dans notre pays, surtout dans la capitale, où des personnes disparaissent et réapparaissent comme par enchantement. Et ce, sans qu’aucune autorité publique ne condamne le crime et sans que le système judiciaire n’ouvre une véritable enquête pour prouver la plupart des faits ou pour identifier et condamner les auteurs.
L’un des derniers cas en date est celui de notre collègue et rédacteur en chef du Democrate, Aliou Tour. Il a disparu sans laisser de traces le 6 avril et a été retrouvé quatre jours plus tard (dans la nuit du 10 avril 2023). Et nous n’avons pas entendu une seule haute autorité faire une déclaration dans ce sens. Pas même le service en charge de la presse. Avait-il vraiment été enlevé (certains en doutent), détenu où, par qui et pourquoi ? Autant de questions qui restent pour l’instant sans réponse et qui ne le seront peut-être jamais sans une enquête judiciaire sérieuse.
Il est vrai que cette brève mais inquiétante disparition semble avoir une motivation politique, puisque l’expéditeur est un militant très engagé du CDR à Ras Bath (Mohamed Youssouf Bathily). Ce n’est donc pas le journaliste qui était forcément visé, mais bien le militant.
Cette disparition a cependant éveillé les soupçons de la presse nationale malienne (au vu des réactions sur les réseaux sociaux dans les jours qui ont suivi la disparition et la libération du jeune confrère) et des défenseurs des droits de l’homme, car les circonstances ne sont pas sans rappeler celles de l’enlèvement de Birama Tour de La Sfinge, dont on est toujours sans nouvelles.
En effet, 7 ans plus tard, on est toujours sans nouvelles de ce dernier, disparu le 29 janvier 2016. L’affaire est toujours pendante devant la justice malienne, malgré le mandat d’arrêt international émis le 5 juillet 2021 à l’encontre de Karim Keta, le fils de l’ancien et défunt président Ibrahim Boubacar Kita, dit IBK, dont le nom est souvent cité dans la disparition de Birama Tour.
L’être humain jouit-il encore de sa sacralité ?
Avant Aliou, Mamady Dioula Dram a été enlevé en plein jour à Bamako et libéré dix jours plus tard en plein jour. Et comme d’habitude, aucune autorité n’a levé le petit doigt pour dénoncer ce fait et aucune enquête n’a été visiblement ouverte pour faire la lumière sur cet enlèvement. Sans parler de la multiplication des agressions par des hommes non identifiés, qui sont là, au vu et au su de tous.
Mais curieusement, le 27 novembre 2022, une unité spéciale de sécurité est intervenue pour libérer 10 otages maliens, dont trois femmes et six enfants, retenus en captivité depuis le 18 novembre par un groupe de criminels et de trafiquants de drogue à Bamako. Ils faisaient partie d’une famille qui avait été enlevée par les ravisseurs en échange d’une somme de 900 millions de francs CFA ou, à défaut, d’informations permettant de localiser une importante quantité de cocaïne interceptée par les douanes maliennes quelques semaines plus tôt.
Lors de l’opération de libération des otages, quatre ravisseurs sont arrêtés, dont un franco-nelsonais, deux français et un franco-malien. Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile avait promis que les enquêtes se poursuivraient pour démanteler ce réseau criminel et ses complices. Mais aujourd’hui, on ne sait pas ce qu’il en est advenu.
L’article 2 de la Constitution actuelle stipule que la personne humaine est sacrée et inviolable. Toute personne a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité personnelle. Et cela doit se traduire par des enquêtes judiciaires pour faire la lumière sur ces enlèvements (faux ou réels), afin que cela ne devienne pas une autre pratique inacceptable dans notre pays. Certes, nous sommes déjà habitués aux enlèvements de touristes, d’humanitaires et de religieux par des réseaux terroristes dans le centre et le nord du pays, qui financent leurs activités criminelles grâce aux rançons versées pour la libération des otages. Mais nous devons nous battre pour que cela ne soit pas perçu comme une méthode pour faire taire les journalistes ou les opposants.
La cellule de crise mise en place par les organisations professionnelles de la presse suite à la disparition d’Aliou Tour a donc raison d’insister sur la nécessité d’ouvrir une enquête pour faire la lumière sur cet enlèvement et cette libération. Il en va de la crédibilité de la profession et de la sécurité des professionnels des médias, une précédente affaire (la fausse disparition d’un confrère pour profiter de la vie en dehors de sa famille) ayant déjà jeté le doute sur la corporation.
Dans le passé, l’image de la presse a été ternie par un enlèvement qui, en réalité, n’en était pas un, puisque le collègue avait quitté son domicile pour aller s’amuser ailleurs. Il est donc difficile, sans une enquête sérieuse et approfondie, de blâmer ceux qui pensent que l’enlèvement du jeune frère est aussi un cas similaire, une fabrication grotesque pour se donner de l’importance et ternir l’image des autorités de transition qui ont arrêté leur idole le 13 mars 2023.
Une pratique embarrassante pour tous
Et la justice ne devrait normalement pas avoir à faire la lumière sur une pratique qui n’honore ni la République, ni la démocratie. La transition n’est pas nécessaire non plus. Le principe de justice exige que le Procureur de la République ouvre une information judiciaire sur la disparition de notre collègue Aliou Tour, car les Maliens ont besoin et ont le droit de savoir ce qui s’est réellement passé. La justice ne peut pas continuer à laisser des personnes disparaître et réapparaître sans savoir pourquoi elles ont été enlevées, où elles ont été détenues, par qui et pourquoi ?
Il en va de la crédibilité de l’Etat, déjà fortement entamée par son silence coupable. On dit que qui ne dit mot consent. Comme le dit le président de la Maison de la Presse et coordinateur de la cellule de crise pour la libération d’Aliou Tour, quel que soit l’auteur de cette pratique, un doigt accusateur sera pointé sur l’Etat qui a la responsabilité de protéger ses citoyens ! Le silence de nos autorités engage non seulement leur responsabilité, mais aussi leur culpabilité. Même si elles n’ont rien à voir avec ces enlèvements, leur devoir est toujours de protéger les personnes partout, notamment dans l’exercice de leurs activités professionnelles.
Ceci est d’autant plus important que les victimes de ces mystérieuses disparitions et enlèvements semblent tellement traumatisées qu’elles se taisent à jamais. Cependant, la réaction de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) laisse espérer la fin du débat sur cette nouvelle menace pour la liberté, pour toutes les libertés, notamment la liberté d’expression et la liberté de la presse.
Depuis un certain temps, nous enregistrons plusieurs allégations de disparitions forcées, dont la dernière en date concerne un journaliste identifié comme Aliou Tour », a déclaré la CNDH dans un communiqué. Et conformément à son mandat légal, nous avons ouvert un dossier d’enquête pour établir les faits’, a déclaré la commission. Nous espérons que toutes les victimes de disparition forcée seront retrouvées saines et sauves », a-t-elle ajouté. La CNDH a également rappelé que l’Etat a l’obligation primordiale de respecter et de faire respecter les droits fondamentaux et de protéger toutes les personnes et leurs biens sur le territoire malien.
Par ailleurs, selon la Convention internationale (entrée en vigueur en 2010) à laquelle le Mali est partie et qui protège toutes les personnes contre les disparitions forcées, les actes de disparition forcée peuvent constituer des crimes contre l’humanité.
Comme l’a dit un jeune confrère après la disparition d’Aliou Tour, il est temps de mettre fin à cette série de disparitions et d’enlèvements de journalistes et d’acteurs de la société civile. En tout état de cause, la CNDH nous rappelle que personne n’est à l’abri de la violation de ses droits. Autant se donner la main pour défendre nos droits humains. Et ce, quel que soit le prix à payer. N’attendons pas d’être la cible pour nous opposer à cette menace !
Moussa Bolly
Source : La Nouvelle République