Hostiles à toute critique, les autorités de transition semblent déterminées à faire taire toute voix discordante. Elles multiplient les fronts sociaux, politiques et même diplomatiques sans sourciller sur les conséquences pour la stabilité sociopolitique du pays. Pour rappel, après l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali et des forces françaises Barkhane, elles ont mis à la porte le porte-parole de la MUNISMA.
Comme si tout cela ne suffisait pas, les deux médias français, France 24 et RFI, ont subi le même sort. Ne voulant pas en rester là, ils ont exigé le retrait immédiat de la MINUSMA, ainsi que l’expulsion du responsable des droits de l’homme de l’organisation.
Aujourd’hui, les autorités de transition veulent ouvrir un nouveau front interne en croisant le fer avec le camp du non, dont Limam Dicko est l’une des figures emblématiques. Ce leader de la scène politico-religieuse a été persécuté pour avoir simplement dit non au projet de nouvelle constitution. Le Mali est-il en train de glisser vers l’intolérance et l’autoritarisme ? Les autorités de transition savent-elles qu’il est imprudent d’ouvrir trop de fronts ? Seront-elles ingrates envers Limam Dicko, quels que soient ses défauts ?
Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, on ne pourra jamais falsifier ou effacer cette page de l’histoire récente du Mali, indissociable du nom de Limam Dicko, sans la lutte intrépide duquel les autorités actuelles ne seraient pas là où elles sont aujourd’hui. Pour rappel, après le second coup d’État, dit de rectification, qui a permis à l’ancien Conseil national pour le salut du peuple (CNSP) de reprendre le contrôle total du pouvoir d’État, Limam Dicko, l’une des figures de proue du Mouvement populaire qui a mis fin au régime d’IBK, a décidé de prendre ses distances. Il s’est retiré de la scène politique pendant un certain temps, avant de sortir de son silence en faveur du référendum constitutionnel. La Coordination des Mouvements, Associations et Sympathisants de l’Imam Dicko, CMAS, bras politique de Dicko, a vu dans son opposition de nombreuses failles dans le projet de texte de la nouvelle constitution. La goutte d’eau qui semble avoir fait déborder le vase est le meeting fracassant organisé par le camp du non le vendredi 16 juin 2023, au cours duquel Limam Dicko aurait prédit la fin imminente du régime de transition. Après cette réunion, il s’est rendu en Mauritanie pour participer à un forum de paix. A son retour de ce forum de paix, il a été retenu à l’aéroport international Modibo Keita de Bamako pendant deux heures avant que son passeport diplomatique ne lui soit retiré. La question que beaucoup se posent est de savoir pourquoi attendre qu’il prenne une position contraire à celle des autorités pour lui retirer son passeport diplomatique, qui est évidemment donné à des personnes d’un certain rang, et comme Limam Dicko n’est plus président du Haut Conseil Islamique, les autorités ont le droit de le lui retirer, mais pas de cette manière. Le Protocole de la République pourrait lui adresser une simple lettre, exprimant clairement la volonté des autorités de lui retirer son passeport diplomatique. Faut-il rappeler le rôle extrêmement important joué par l’imam Mahmoud Dicko dans la lutte contre le régime d’Ibk ? Tous les acteurs de l’époque étaient unanimes pour dire que sans l’autorité morale de l’Imam Dicko, la lutte n’aurait jamais été couronnée de succès. On peut donc dire que les autorités actuelles doivent une partie de leur succès à la lutte inlassable menée par le M5 RFP en général et Limam Dicko en particulier. Les hommes politiques qui composaient le Mouvement du 5 juin Rassemblement des Forces Patriotiques, M5 RFP, à l’exception de quelques-uns, étaient tous élus par le peuple, donc seul Dicko a pu mobiliser et galvaniser les troupes. Et sans cette mobilisation, l’armée n’aurait jamais eu le courage d’entrer dans l’arène politique. C’est pourquoi, malgré son opposition au projet de nouvelle constitution, il ne mérite pas le sort qui lui a été réservé. Le front contre Limam Dicko est un front de trop et n’inquiète pas les autorités, d’autant plus qu’elles en ont ouvert suffisamment. En somme, tenter de faire passer l’Imam Dicko pour un vulgaire apatride ne serait qu’une tentative malsaine d’effacer ou de falsifier une page de l’histoire récente du Mali. Ainsi, le jour où les autorités de la transition se rendront compte qu’elles exacerbent la tension sociopolitique par leurs actions maladroites et contre-productives à l’égard de l’opposition, elles changeront de ton et entameront sans tarder un dialogue avec le Front du Refus. Le Président de la Transition doit donc sortir de son silence pour rassembler les Maliens dans leur diversité. Ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra entrer avec éclat dans l’histoire du Mali. Youssouf Sissoko