L’Observatoire des élections et de la bonne gouvernance au Mali a tenu une conférence de presse à la Maison de la Presse le samedi 4 mars 2023. Au cours de ce point de presse, présidé par le Dr Ibrahima Sangho, l’Observatoire des élections et de la bonne gouvernance au Mali a noté des avancées importantes en faveur des réformes, notamment avec la remise officielle du projet de Constitution au Président de la Transition. Voici les principales avancées notées par l’Observatoire
Les réformes politiques institutionnelles et électorales prévues pour février 2023 renforcent les activités de plaidoyer de l’Observatoire depuis le coup d’État du 18 août 2020 sur la nécessité de véritables réformes politiques institutionnelles et électorales pendant la transition.
L’Observatoire salue la volonté politique des autorités de la transition qui a rendu possible un nouveau découpage territorial. Le Mali compte désormais 19 régions, 159 districts, 466 arrondissements, 819 communes et 12 712 villages. L’évolution la plus significative est la création de 110 nouveaux districts.
En ce qui concerne le projet de Constitution, le Président de la Transition a pris le décret n° 2023-0055/PT-RM du 27 janvier 2023, portant nomination des membres de la Commission chargée de finaliser le projet de Constitution de la République du Mali.
Le 27 février 2023, la Commission a présenté le projet de Constitution de la République du Mali au Président de la Transition. Il s’agit d’un document comprenant 191 articles contre 195 dans le projet précédent et 122 dans la Constitution du 25 février 1992.
L’Observatoire salue le courage des membres de la Commission de finalisation. Il note des progrès importants mais aussi des insuffisances.
1. PROGRÈS IMPORTANTS
1.1 Sensibilisation aux droits de l’homme
Selon le Pramule, le Peuple Souverain du Mali s’engage à veiller au respect des droits humains, notamment ceux des femmes, des enfants et des personnes handicapées, tels que consacrés par les traités et accords sous-régionaux, régionaux et internationaux signés et ratifiés par le Mali. Cette disposition permettra, entre autres, de renforcer la lutte pour la mise en œuvre de la loi N2015-052 du 18 décembre 2015 portant mesures de promotion du genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives.
1.2 La lutte contre l’homosexualité
Selon l’article 9, le mariage et la famille, qui constituent le fondement naturel de la vie en société, sont protégés et promus par l’État. Le mariage est l’union entre un homme et une femme.
1.3 Vers un organe unique de régulation des médias
L’article 15 stipule que la liberté de la presse et le droit d’accès à l’information sont reconnus et garantis. Ils s’exercent dans les conditions fixées par la loi. Cet article remplace l’article 7 de la Constitution du 25 février 1992, selon lequel : La liberté de la presse est reconnue et garantie. Elle doit s’exercer dans les conditions fixées par la loi. L’égal accès de tous aux médias publics est garanti par un organisme indépendant dont le statut est déterminé par une loi organique.
Le nouveau texte constitutionnel permettra certainement à la Haute Autorité de la Communication d’avoir les pleins pouvoirs dans la régulation des médias et de la communication en République du Mali.
1.4 L’officialisation de nos langues nationales
L’article 31 du projet dispose que les langues nationales sont les langues officielles du Mali. Une loi organique détermine les conditions et les modalités de leur utilisation. Le français est la langue de travail. L’Etat peut adopter toute autre langue comme langue de travail.
1.5 Définir les contours de la loi
Selon l’article 32, la sécurité ne s’oppose pas à la religion et aux convictions. Elle a pour objectif de promouvoir et de renforcer la coexistence fondée sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle. L’État garantit le respect de toutes les religions et convictions, la liberté de conscience et le libre exercice du culte conformément à la loi.
1.6 Reconnaissance du travail de la société civile
Contrairement à la Constitution de 1992, le travail des organisations de la société civile (OSC) est reconnu et valorisé. L’article 40 stipule que les organisations de la société civile exercent, dans le cadre de la démocratie participative, une mission de contrôle des citoyens dans les conditions fixées par la loi.
1.7 La question du mandat, de la nationalité et de l’âge du Président de la République
Selon l’article 45 du projet, le Président de la République est élu pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct. Il ne peut être élu qu’une seule fois. En aucun cas, une personne ne peut exercer plus de deux mandats de Président de la République.
Tout candidat aux fonctions de Président de la République doit être de nationalité malienne et ne posséder aucune autre nationalité à la date du dépôt de sa candidature. Il doit jouir de tous les droits civils et politiques et être de bonne moralité et intègre. Il doit être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans au plus à la date du dépôt de sa candidature et être éligible à la fonction (article 46).
1.8 La révision sévère des élections présidentielles
L’article 47 du projet stipule que l’élection du nouveau Président de la République a lieu quarante-cinq jours au moins et soixante jours au plus avant l’expiration du mandat du Président en exercice. Selon l’article 32 de la Constitution de 1992, les élections présidentielles sont fixées à 21 jours au moins et 40 jours au plus avant l’expiration du mandat du Président en exercice.
La question du second tour a été résolue dans le projet de Constitution par l’article 48, qui stipule : Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si cette majorité n’est pas obtenue au premier tour, un second tour est organisé le troisième dimanche suivant la proclamation des résultats du premier tour par la Cour constitutionnelle. L’article 33 de la Constitution de 1992 stipule que : () Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci n’est pas atteinte au premier tour de scrutin, un second tour sera organisé le deuxième dimanche suivant. Ce second tour ne sera ouvert qu’aux deux candidats ayant obtenu le plus de voix.
1.9 Renforcement du serment, introduction de la Cour constitutionnelle et destitution du Président
L’article 55 du projet de Constitution renforce le serment du Président de la République, qui prête désormais serment devant la Cour constitutionnelle, en séance solennelle, et non plus devant la Cour suprême. Le dernier paragraphe sur le serment du Président de la République constitue une avancée remarquable : (). En cas de violation de ce serment, que le peuple me retire sa confiance et que je subisse la sanction de la loi.
Par ailleurs, l’article 73 prévoit que le Président de la République peut être tenu pour responsable des actes qualifiés de haute trahison. Il peut être mis en accusation par le Parlement pour haute trahison. Il y a haute trahison lorsque le Président de la République viole son serment. La motion de destitution est initiée par les membres de l’une ou l’autre chambre du Parlement. (.).
1.10 La nécessité d’une nouvelle révision de la loi n° 2022-019 du 24 juin 2022 portant loi électorale et de la loi organique relative aux députés. La création d’un Parlement et son mode d’élection. La place accordée aux Maliens de l’extérieur. La réglementation du nomadisme politique.
Avant les élections des députés et sénateurs, plusieurs textes doivent être relus.
Alors que l’article 59 de la Constitution de 1992 stipule que le Parlement est composé d’une seule chambre appelée Assemblée nationale, l’article 94 du projet de Constitution stipule : Le pouvoir législatif est exercé par le Parlement. Le Parlement vote les lois et contribue à l’évaluation des politiques publiques. L’article 95 précise que le Parlement est composé de deux chambres : l’Assemblée nationale et le Sénat. Le Congrès est la réunion des deux chambres du Parlement. Le président de l’Assemblée nationale est le président du Congrès et le président du Sénat en est le vice-président.
En ce qui concerne le mode de scrutin, l’article 61 de la Constitution de 1992 stipule que les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct par une loi qui fixe le mode de cette élection. L’article 96 du projet de Constitution stipule que les membres de l’Assemblée nationale portent le titre de député. Les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Le mode de scrutin peut être majoritaire, proportionnel ou mixte. Les Maliens de l’extérieur sont représentés à l’Assemblée nationale selon les modalités définies par la loi. Cela renforce la représentation nationale et la pluralité d’opinion au Parlement.
Selon l’article 97, les membres du Sénat portent le titre de sénateurs. Le Sénat est composé pour trois quarts de membres élus au suffrage universel indirect représentant les collectivités territoriales et pour un quart de membres nommés représentant les autorités et la légitimité traditionnelles, les Maliens de l’étranger et les personnes ayant honoré le service de la nation. La durée du mandat des membres du Sénat est de cinq ans.
L’article 99 du projet de Constitution stipule que la loi déterminera le mode d’élection des députés à l’Assemblée nationale. Elle fixera également les modalités d’élection ou de désignation des sénateurs. Selon l’article 100, une loi organique déterminera pour chacune des deux chambres les conditions d’éligibilité, le régime d’inéligibilité et d’incompatibilité. Elle déterminera également les conditions de remplacement en cas de vacance du mandat. A l’article 101, une loi organique déterminera les indemnités et autres avantages accordés aux députés et aux sénateurs.
Le nomadisme des hommes politiques est réglementé par l’article 106 qui dispose : Tout député ou sénateur qui démissionne de son parti politique ou de l’organisation qu’il représente est privé de son mandat. La démission est dûment constatée par écrit. La démission d’un autre parti ou d’une autre organisation est considérée comme une démission. Le député ou le sénateur démissionnaire est remplacé dans les conditions fixées par une loi organique.
L’Observatoire estime que cette dernière disposition permettra d’assainir la scène politique et de valoriser les votes des élus.
1.11 Introduction des normes et conventions internationales
Les normes et conventions internationales ont été clairement introduites dans le projet.
Pour mémoire, l’article 13 de la Déclaration de Bamako de 2000 stipule de veiller à ce que les textes fondamentaux régissant la vie démocratique soient le résultat d’un large consensus national, tout en étant conformes aux normes internationales, et fassent l’objet d’une adaptation et d’une évaluation régulières.
L’article 14(1) de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance stipule que : Les États parties renforcent et institutionnalisent le contrôle constitutionnel civil sur les forces de sécurité et les forces armées pour la consolidation de la démocratie et de l’ordre constitutionnel.
L’article 19 du Protocole additionnel de la CEDEAO, dans ses paragraphes 1 et 2, stipule que : L’armée est républicaine et au service de la nation. Elle a pour mission de défendre l’indépendance, l’intégrité du territoire de l’Etat et ses institutions démocratiques. Les forces de sécurité publique ont pour mission de faire respecter la loi, de maintenir l’ordre et de protéger les personnes et les biens.
L’Observatoire constate qu’avec le chapitre V du projet de Constitution intitulé ARMES ET FORCES DE SÉCURITÉ :
Les Forces armées et de sécurité sont chargées de défendre l’intégrité du territoire national, de protéger les personnes et leurs biens, de maintenir l’ordre public et de faire respecter les lois. Elles participent au développement économique, social et culturel du pays (Article 89) ;
Les forces armées et de sécurité sont au service de la Nation. Elles sont républicaines, apolitiques et soumises à l’autorité politique (Article 90).
1.12 L’instauration de la Cour des comptes
L’article 156 du projet de Constitution stipule que la Cour des comptes est la juridiction suprême des finances publiques et l’institution suprême de contrôle des finances publiques. Elle dispose de pouvoirs juridictionnels, de contrôle et de conseil.
1.13 Élargissement de la Cour constitutionnelle, renforcement de son mandat et de ses pouvoirs.
Dans le projet de Constitution, la Cour constitutionnelle est composée de neuf membres portant le titre de Conseillers. Le mandat des Conseillers est de sept ans et n’est pas renouvelable. Les neuf membres de la Cour constitutionnelle sont nommés comme suit : Deux par le Président de la République ; un par le Président de l’Assemblée nationale ; un par le Président du Sénat ; deux par le Conseil supérieur de la magistrature ; deux enseignants-chercheurs en droit public désignés par un collège composé des recteurs des universités de droit public ; et un par l’Ordre des avocats. Les conseillers sont choisis prioritairement parmi les professeurs de droit public, les avocats et les magistrats ayant au moins quinze ans d’expérience, ainsi que les personnes qualifiées ayant honoré le service de la Nation. Les conseillers ainsi désignés sont nommés par décret du Président de la République (article 145).
L’article 91 de la Constitution de 1992 prévoit un mandat de sept ans renouvelable une fois. Les neuf membres sont nommés uniquement par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Conseil supérieur de la magistrature.
1.14 Les procédures de la révision constitutionnelle ont été étendues
Avec le projet de Constitution, l’initiative de la révision de la Constitution appartient simultanément au Président de la République et aux membres du Parlement. Le projet ou la proposition de révision doit être adopté en termes identiques par les deux Chambres du Parlement à la majorité des deux tiers de leurs membres. La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum (article 184).
Selon l’article 185, aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie si l’intégrité du territoire est compromise. La forme républicaine de l’État, le lac, le nombre de mandats du Président de la République et le multipartisme ne peuvent faire l’objet d’une révision. En l’occurrence, le nombre de mandats du Président de la République a été renforcé par l’article 118 de la Constitution de 1992, selon lequel aucune procédure de révision ne peut être engagée ou effectuée lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et l’égalité de l’Etat, ainsi que le multipartisme, ne peuvent être révisés.
2. LES LACUNES IDENTIFIÉES
2.1. La Cour constitutionnelle reste l’échiquier du jeu électoral
Avec le projet de Constitution, la Cour constitutionnelle retrouve toute l’étendue de ses pouvoirs électoraux, tels que dictés par la Constitution de 1992. Elle reste le maître du jeu en ce qui concerne l’élection du Président de la République, le référendum et les élections législatives. Avec l’article 149, la Cour constitutionnelle contrôle la régularité de l’élection du Président de la République et des opérations de référendum. Elle examine les réclamations et proclame les résultats définitifs. En vertu de l’article 151, tout candidat, parti politique ou autorité chargée de l’organisation des élections peut saisir la Cour constitutionnelle si la validité d’une élection est contestée. En faisant droit à la requête, la Cour peut, selon le cas, annuler l’élection contestée ou réformer les résultats.
La suppression de cet article de l’Avant-projet : Et si la Cour fait droit à la requête, elle peut, selon le cas, annuler l’élection contestée ou reformuler les résultats provisoires. Si la reformulation aboutit à l’inversion des résultats proclamés, la Cour constitutionnelle prononce l’annulation des élections (article 157), montre que les membres de la Commission de finalisation ont tiré peu de leçons de la crise électorale de 2020.
2.2. Le maintien du Conseil économique
L’article 36 du projet de Constitution dispose que les institutions de la République sont : 1. le Président de la République ; 2. le Gouvernement ; 3. le Parlement ; 4. la Cour suprême ; 5. la Cour constitutionnelle ; 6. la Cour des comptes ; et 7. le Conseil économique, social, culturel et environnemental. L’Observatoire, tout en saluant l’arrivée de la Cour des comptes, estime que le Conseil économique, social, culturel et environnemental ne doit pas être une institution au détriment de l’Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE) et de la Haute autorité de la communication (HAC).
2.3. Manque de possibilité pour les personnes de faire respecter le serment d’office
Le dernier paragraphe de l’article 55 du projet de Constitution stipule qu’en cas de violation du serment, le peuple retirera sa confiance au Président de la République. L’article 73 prévoit que le Président de la République peut être tenu pour responsable des actes qualifiés de haute trahison. Il peut être mis en accusation par le Parlement pour haute trahison. Il y a haute trahison lorsque le Président de la République viole son serment. ().
Cependant, il n’existe pas de mécanisme citoyen pour sa mise en œuvre.
2.4. Pouvoirs excessifs du Président de la République
L’Observatoire se plaint que le Président de la République dispose de pouvoirs excessifs. Selon l’article 57, le Président de la République nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions. Il nomme les autres membres du Gouvernement après avoir consulté le Premier ministre et met fin à leurs fonctions.
De même, l’article 69 dispose que le Président de la République peut, après avoir consulté les Présidents des deux Chambres et le Président de la Cour constitutionnelle, dissoudre l’Assemblée nationale (). C’est une épée de Damoclès pour ceux qui sont chargés de faire respecter le serment du Président.
2.5. Affaiblir le système judiciaire
L’article 64 stipule que le Président de la République est le Président du Conseil supérieur de la magistrature.
L’Observatoire considère que la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire n’a pas été résolue dans le projet de Constitution, comme l’exigent les normes et conventions internationales ratifiées par le Mali.
Selon l’article 129, le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Il est exercé par la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes et les autres Cours et Tribunaux. Le deuxième paragraphe indique que les moyens alternatifs et traditionnels de résolution des conflits sont autorisés dans les conditions fixées par la loi. Cela signifie-t-il que Cadis remplacera les tribunaux dans certains endroits, comme c’est actuellement le cas ?
2.6. Renforcement des dispositions contre le coup d’Etat
Le projet de Constitution insiste sur le fait que le fondement de tout pouvoir en République du Mali se trouve dans la Constitution. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour préserver la forme républicaine de l’Etat (article 186).
Selon l’article 187, tout coup d’état ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien. L’Observatoire estime qu’il aurait fallu lire : Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible et non amnistiable contre le peuple malien.
L’Observatoire constate que les autorités de la transition ont effacé de facto l’article 187 en leur faveur avec un nouvel article 188 intitulé : » Les faits antérieurs à la promulgation de la présente Constitution couverts par des lois d’interdiction ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de poursuites, d’enquêtes ou de procès « .