Plus de 10 jours après l’annonce des résultats provisoires du référendum du 18 juin, nous attendons toujours la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle. La Cour continue d’observer un silence assourdissant, renforçant les doutes sur la crédibilité de ce scrutin, véritable test avant les élections présidentielles de 2024.
Cependant, l’AIGE, qui a proclamé les résultats provisoires, est empêtrée dans une polémique qui n’a pas de raison d’être. Au lieu de se rendre compte que les élections n’ont pas pu se tenir sur l’ensemble du territoire en raison de la situation sécuritaire et de la menace brandie par les groupes pétitionnaires, elle a voulu se faire l’avocat du diable et se retrouve aujourd’hui empêtrée dans la réalité.
Certes, la victoire du oui, si tel était l’enjeu de cette élection, est incontestable. Mais les enjeux étaient tout autres et les défis multiples. Nous savions tous que le scrutin pouvait être faussé en raison du retard pris dans l’organisation et du fait qu’il s’est déroulé dans un laps de temps très court.
Cela n’a pas permis à une structure comme l’AIGE, chargée de superviser le processus électoral, de se préparer convenablement. Bien qu’il n’ait pas été possible d’organiser le vote dans la région de Kidal et dans d’autres localités, le président de cette structure a voulu remédier à cette situation.
Il a continué à affirmer que le référendum a été organisé partout, y compris dans la région de Kidal. Cela contredit ses propres services et les observateurs indépendants dépêchés pour l’occasion par certaines organisations de la société civile.
Un débat houleux a éclaté sur les réseaux sociaux sur la tenue ou non du scrutin dans la région stratégique de Kidal, fief de l’ancienne rébellion du Nord. La confusion a été entretenue par l’autorité électorale malienne qui a multiplié les déclarations contradictoires.
Le soir du scrutin, des observateurs de la société civile et de nombreux responsables locaux ont nié la tenue des élections dans cette partie du pays, affirmant que les bureaux de vote n’avaient pas été ouverts. Les résultats officiels annoncés le 23 juin semblent confirmer leur version des faits.
Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote le 18 juin, le web a été inondé par des partisans du gouvernement affirmant que le vote avait bien eu lieu dans la région de Kidal, pourtant contrôlée par des groupes armés qui avaient empêché le vote devant les forces armées une semaine plus tôt. La chaîne de télévision nationale LORTM n’a pas manqué d’évoquer la manipulation dans la partie principale de son bulletin d’information de 20 heures.
Dans une vidéo de mauvaise qualité, visiblement filmée avec un téléphone portable, on voit des électeurs déposer leur bulletin de vote dans une urne posée sur le sol en pisé, entourés d’hommes au visage couvert par des turbans et assis sur des nattes, dans ce qui est présenté comme un bureau de vote à Aguelhoc, une localité du cercle de Tessalit, qui fait partie de la région de Kidal.
Recours devant la Cour constitutionnelle pour demander l’abandon du procès
Les résultats provisoires annoncés par l’AIGE ont montré que 97% des votes étaient en faveur du projet de nouvelle Constitution. Dans le même temps, elle annonce que le taux de participation, habituellement faible au Mali, a été d’environ 39,4% du corps électoral, soit environ 3 millions de personnes qui ont pris part au vote.
De nombreux observateurs et partis d’opposition se sont empressés de dénoncer les nombreuses fraudes et incidents susceptibles d’entacher la crédibilité du scrutin, notamment dans le nord du pays. D’autres ont même saisi la Cour constitutionnelle pour demander l’abandon du processus.
La tenue du scrutin à Kidal était un enjeu important et stratégique pour les autorités de transition qui ont proclamé haut et fort la souveraineté du pays. L’organisation du vote dans cette région, largement contrôlée par les mouvements armés signataires de l’Accord, dont les relations avec le pouvoir en place se sont détériorées ces derniers mois autour de la mise en œuvre de l’Accord signé en 2015, n’a pas été une mince affaire.
La seule preuve brandie par les autorités de la tenue des élections dans cette région a été la vidéo amateur diffusée par L’ORTM du vote à Aguelhoc, qui a été largement diffusée et commentée sur les réseaux sociaux dans les jours qui ont suivi. Curieusement, bien que l’ORTM ait un bureau régional à Kidal, aucun journaliste n’a été envoyé aux élections.
Toutes les circonscriptions de la région de Kidal affichent des zéros
L’autre fait tout aussi étrange est que plus de dix jours après l’annonce des résultats provisoires par l’AIGE, cette dernière a publié sur son site Internet des tableaux reprenant les données bureau de vote par bureau de vote. Dans la région de Kidal, toutes les circonscriptions affichent des résultats nuls, tant pour le oui que pour le non.
Quelques jours plus tard, un rapport du bureau régional de l’AIGE à Kidal indique que le référendum n’a pas pu se tenir dans toute la région en raison du manque de matériel de vote et de personnel électoral.
Le président de l’AIGE au niveau national, Moustapha Ciss, a dénoncé dans la foule la diffusion de faux documents et de fausses informations, véhiculés par des personnes qui n’avaient pas le droit de parler au nom de l’organisation.
Dans son rapport sur les élections du 18 juin, la Mission d’observation électorale du Mali (Modele-Mali), soutenue par l’UE, a également confirmé que les élections n’avaient pas eu lieu dans la région de Kidal, où elle avait déployé plus de 150 observateurs. Lors d’une conférence de presse, le coordinateur du MODELE-Mali, le Dr Ibrahima Sangho, a même lancé un défi, déclarant que si quelqu’un avait la preuve que les élections de Kidal avaient eu lieu, il devait nous l’apporter.
La Coalition pour l’Observation Citoyenne des Elections au Mali (Cocem) a fait entendre un son de cloche différent en déclarant dans un communiqué de presse publié pour l’occasion que ses observateurs n’ont constaté l’ouverture d’aucun centre ou bureau de vote dans la région de Kidal.
Comme on pouvait le craindre, les mouvements armés signataires de l’Accord ont défié les autorités en empêchant la tenue du référendum dans les zones qu’ils contrôlent, notamment à Kidal. Et ce n’est certainement pas au vidéo-amateur de l’ORTM de corriger le tir.
Tous les regards sont actuellement tournés vers la Cour constitutionnelle qui devra valider les résultats définitifs mais qui tarde à se prononcer. Pourtant, la Constitution du 25 février 1992, toujours en vigueur, est explicite à ce sujet, notamment dans son article 118 qui stipule : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie s’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale ».
Il appartient donc à la Cour constitutionnelle, qui a la lourde tâche de se prononcer sur la sincérité du scrutin, de sortir de son silence assourdissant qui risque de porter gravement atteinte à la crédibilité du vote.
Cheick B. CISSE