Aller au contenu

Sortir le Mali du ghetto diplomatique

La grâce présidentielle avec remise totale de peine accordée le 6 janvier par le Président de la Transition malienne, le Colonel Assimi Goïta, aux 49 soldats ivoiriens lourdement condamnés le 30 décembre pour diverses infractions pénales est assurément une bonne nouvelle pour tous les Maliens et les Ivoiriens. Le Mali et la Côte d’Ivoire ne sont pas seulement deux États voisins. Ils sont complémentaires et c’est Nana Félix Houphouët-Boigny, illustre figure de l’indépendance africaine, père fondateur de la Côte d’Ivoire moderne, surnommé à juste titre le Vieux sage de Yamoussoukro pour son œuvre remarquable en faveur de la paix dans son pays et aussi en Afrique, qui a fixé cette complémentarité par une allégorie inoubliable. La Côte d’Ivoire est le pays du cola et le Mali le pays du sel. Lorsqu’il mâche du cola et a une quinte de toux, il avale une pincée de sel pour s’en débarrasser. » . Telle était sa réponse à un journaliste qui l’interrogeait au milieu des années 1960, alors que les relations entre le Mali socialiste de Modibo Keita et la Côte d’Ivoire résolument capitaliste qu’il dirigeait traversaient une période de turbulence.

La complémentarité malo-ivoirienne repose sur des bases démographiques et économiques. Des deux côtés de la frontière, on retrouve les mêmes populations, dominées par les Senoufos. Par vagues successives sur plusieurs décennies, des millions de Maliens, attirés par le généreux potentiel économique du pays, s’y sont installés, contribuant à la création des formidables richesses qui font sa réputation et se mêlant à la population autochtone. Le Mali est le premier producteur de bétail de l’UEMOA et le deuxième de la CEDEAO après le Nigeria, et exporte son bétail (animaux vivants) vers la Côte d’Ivoire. Elle utilise également les ports d’Abidjan et de San Pedro pour évacuer le coton vers les marchés asiatiques.

En retour, la Côte d’Ivoire a tiré un énorme profit du Mali en y vendant ses produits agricoles et manufacturiers. Elle fournit également au Mali une partie de son électricité. Sa compagnie aérienne nationale dessert régulièrement Bamako. Les deux États participent au compte commun de la BCEAO, dont la Côte d’Ivoire est le principal fournisseur de devises. Cela montre à quel point  » sont condamnés à vivre ensemble « Pour paraphraser, une fois de plus, le premier président ivoirien.

Les aléas politiques peuvent être source de perturbations désagréables et c’est ce qui s’est passé avec le double coup d’État militaire au Mali en l’espace de neuf mois (18 août 2020 et 21 mai 2021) qui a conduit à des sanctions économiques et financières conjointes de la CEDEAO et de l’UEMOA, considérées par les tenants du pouvoir à Bamako comme des  » illégale, illégitime et inhumaine « Ils ont vu la main d’Alassane Ouattara, qui a agi au nom de la France, l’allié d’hier déclaré ennemi. L’arrestation, dans ce contexte, de soldats ivoiriens dans une situation de« Irrégularités administratives « Selon l’ONU, l’affaire de l’aéroport international du Président Modibo Keita-Senou a des relents de vengeance, bien que la justice malienne, selon les documents en sa possession, soit d’un avis différent.

Quoi qu’il en soit, l’affaire s’est heureusement terminée par le décret de grâce du colonel Goïta, qui a été accueilli avec un grand soulagement au Mali, où de nombreuses voix s’étaient élevées pour réclamer une issue pacifique et rapide, mais aussi en Côte d’Ivoire même, où le président Ouattara a dû haleter ! Il avait promis à ses concitoyens, dans l’inquiétude et la colère, d’obtenir la libération des soldats détenus à Bamako par des moyens pacifiques, ce qui fut fait. Dans son discours du Nouvel An, il les avait rassurés en leur disant qu’ils retrouveraient bientôt leur patrie et leurs familles.

Nous pouvons donc nous réjouir que la normalisation soit en bonne voie entre Bamako et Abidjan, mais l’élan doit être maintenu. Elle doit couvrir l’ensemble de la zone CEDEAO, y compris le Niger et la Guinée Bissau, avec lesquels le Mali est en conflit. Elle doit aller encore plus loin, vers les pays occidentaux, partenaires traditionnels du développement. Cela nécessite une combinaison de diplomatie courageuse et une volonté forte d’organiser des élections permettant le retour à la République et à la démocratie. Le chef de l’État malien, qui vient de démontrer son courage en déjouant les prédictions pessimistes, doit veiller à ce que le Mali sorte du ghetto diplomatique.

Saouti HAIDARA

Source : l’Indépendant

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *