Pluridisciplinaire, il parvient à s’entendre tout aussi facilement avec Mohamed Arkoun, Bob Marley, Nadia Lotfi, Juliette Gréco, Mohamed El Youssoufi, Abdelwahab Doukkali… Un répertoire qui reflète la culture générale qu’une frange âgée entretient jusqu’à l’insolence. Il aime la vie, la lui démontre et tente d’inculquer ses bienfaits aux récalcitrants. Le sourire et la blague omniprésents enveloppent les connaissances acquises au fil des années et des expériences. Abdallah El Amrani est l’ami de tout le monde, de toutes les catégories sociales confondues.
Une devise, une feuille de route ? Non, un état d’esprit, une vraie réalité. Son amour de l’existence est-il nocif pour le cœur qui peu à peu se laisse aller jusqu’à en couper le souffle, jusqu’à ce que son présent devienne passé ? Quelques semaines se sont écoulées depuis qu’il a quitté Marrakech, ville qui l’a confiné quelques années, pour une hospitalisation dans une clinique de Rabat. De son chevet, il écrivait le 13 février : « Ce matin, j’ai pensé à ce grand réalisateur et illustre écrivain Ahmed Bouanani décédé, comme ces derniers jours, en février 2011. Il avait, hélas, subi les pires souffrances au crépuscule de sa vie. vie, y compris la mort de sa fille dans un incendie. J’aurais aimé que la nation rende hommage à cet être exceptionnel, auteur d’œuvres immortelles comme »Assarab » ou »Mirage » au cinéma et »Les persiennes » en littérature.
De son dernier livre, un recueil de nouvelles, que j’ai lu en 1980, l’année de sa parution, je garde cette phrase hautement didactique : »La mort a cette délicatesse de se refermer derrière la porte » ». Plus tard, il remet le couvert : « C’est avec l’amour dans l’âme que je me suis promis de revenir à Marrakech après le mois de Ramadan. Six semaines plus tard, la maladie fait son entrée, scellant ainsi sa suprématie, lui montrant le chemin de l’éternité.
Chef de presse
Abdallah El Amrani, jongleur entre le français et l’arabe, est originaire de Ouazzane. Il effectue ses études secondaires à Tunis à l’IPSI, institut de journalisme créé en 1967 et développé l’année suivante avec le concours de la Fondation allemande Friedrich Naumann. C’est aussi avec le soutien d’une bourse allemande qu’El Amrani intègre l’IPSI et devient le premier Marocain à entrer dans la profession, diplôme de journaliste sous le bras. De retour dans son pays natal, Abdallah s’installe à Casablanca où il fréquente le journal Maghreb Information estampillé UMT (Syndicat Marocain), ciselé UNFP (Union Nationale des Forces Populaires).
Le voici donc parmi les signatures les plus importantes du mensuel Lamalif créé par Mohamed Loghlam et son épouse Zakia Daoud (Jacqueline David). Boulimique, Abdallah El Amrani crée l’hebdomadaire arabophone Al Masser auquel participent l’écrivain Ahmed Al Madini, le poète Hassan Moufti et le journaliste Hassan Alaoui (Frimousse). Et puis, l’heure est au développement et à l’élargissement. Le journaliste crée la structure Nejma qui publie l’hebdomadaire Addar Al Baïda (au lendemain de l’interdiction d’Al Moharrir) et le mensuel L’Economiste du Maghreb qui connaît la collaboration de Driss Guerraoui et Ahmed Malki. Parallèlement El Amrani s’occupe de la communication de la Foire Internationale de Casablanca (FIC) arrivant en 1983 pour donner naissance à la première radio privée du pays, celle de la FIC, en compagnie de Kamal Lahlou et Mouhcine Terrab . Pendant cette période, on lui a demandé de mettre sur les rails le journal Risalat Al Oumma du parti politique naissant Al Ittihad Adoustouri. Une expérience douloureuse qui est morte dans l’œuf. Abdallah Stouky prend le relais.
Au milieu des années 1980, Abdallah El Amrani s’installe pour une dizaine d’années à Tétouan où il rejoint son ami Terrab, nommé gouverneur de la ville. Il y monte un festival international qui mêle musique, cinéma, peinture, littérature… En tournant la page de Tétouan, le journaliste retrouve Casablanca et le métier qui le voit naître dans le monde du travail. Il rejoint le magazine La Gazette du Maroc, devenu Challenge, avant de fonder en 2000 son propre hebdomadaire généraliste La Vérité, dont la direction est déléguée pendant plusieurs années à sa fille Sanaa. Lors de sa semi-retraite à Marrakech, Abdallah publie le livre « L’homme qui tua la lune ». Le 8 mars, il citait Baudelaire sur sa page Facebook : « Cette vie est un hôpital où chaque patient est possédé par le désir de changer de lit. »
Anis HAJJAM