La population la plus jeune du monde, la plus grande réserve de main-d’œuvre de la planète d’ici 2050, 60 % des terres arables mondiales inexploitées, un tiers des réserves mondiales de tous les minéraux confondus, et pourtant l’Afrique, en particulier un sud du Sahara, concentre plus de la moitié de l’extrême pauvreté dans le monde. On se demande ce qui empêche le continent de briser le cercle vicieux de la dépendance et de la pauvreté.
Pas de développement africain sans industrialisation
De même, les tablettes de chocolat importées s’emparent de ce marché en Côte d’Ivoire, premier pays producteur de cacao au monde, et sont vendues à des prix que le consommateur local est loin de pouvoir se permettre. Certaines multinationales continuent de transformer plus de la moitié des fèves ivoiriennes à l’étranger au détriment des acteurs nationaux, malgré les investissements du pays dans la transformation du secteur ces dernières années.
Les exemples d’aberrations économiques ne manquent pas dans le quotidien des Africains. Ils ne datent pas d’hier et traduisent un véritable dysfonctionnement du système, les schémas « d’aide » obsolètes, largement décriés depuis des décennies, ne portent pas l’ombre d’une solution à la situation. Une vraie vision de l’industrialisation du continent, développée en Afrique et pour l’Afrique, peut au contraire aider à contrer ce qui apparaît, dans son absurdité et dans son injustice, comme une « malchance ».
Une industrialisation qui brisera la dépendance économique et ses mécanismes conduisant à l’autosuffisance, qui permettra à l’Afrique d’exploiter ses diverses ressources, ses terres et son sous-sol, de produire de la valeur ajoutée et de créer des emplois pour les millions de personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté en des pays paradoxalement si riches. Nous sommes si loin?
Deuxième Indice d’industrialisation africaine 2022 (AII) de la Banque africaine de développement (BAD), alors que des foyers d’industrialisation émergent à travers le continent, le rythme du développement industriel reste trop lent. « La part de l’Afrique dans la production mondiale est tombée à moins de 2 % et le continent reste mal intégré dans les chaînes de valeur mondiales. […] « . L’Afrique, en tant que continent, continue d’être le parent pauvre du développement industriel, même si certains pays africains, dont l’Afrique du Sud, le Maroc et l’Égypte, se distinguent par leurs politiques et leurs performances industrielles et sont nettement en avance sur leurs pairs dans ce domaine. zone.
Sans surprise, le manque d’infrastructures reste un obstacle majeur. Selon le même rapport :
« […] Actuellement, la moitié des Africains n’ont pas accès à l’énergie et 30% n’ont pas accès à l’eau potable, deux éléments essentiels pour l’agro-industrie et d’autres industries. Le coût moyen de l’électricité pour les entreprises manufacturières est quatre fois plus élevé en Afrique que les tarifs industriels appliqués dans le reste du monde ». Sans oublier les infrastructures de transport insuffisantes voire inexistantes dans certains cas, qui se répercutent sur les chaînes d’approvisionnement.
Quelle industrialisation sans justice climatique ?
Nous rappelons également certains faits indéniables en matière de développement industriel en relation avec le climat.
Premièrement, les pays riches s’industrialisent en polluant. Un chiffre classique pour l’illustrer : les pays du G20 – les plus riches et les plus industrialisés de la planète – sont responsables de 80 % de la pollution climatique. (source : ON). Si l’on prend deux des plus gros pollueurs, les États-Unis et l’Europe, ils ont à eux seuls contribué à près de 50 % des émissions historiques. (source : Notre monde en données) .
L’Afrique donc, riche en ressources minérales et en hydrocarbures, a été historiquement fondamentale, en tant que fournisseur de matières premières, pour la richesse de ces nations développées et pour le maintien de la qualité de vie en Occident.
De plus, l’Afrique, qui n’a contribué qu’à 3% des émissions historiques de gaz à effet de serre (source : Notre monde en données), dont une contribution ridicule des pays d’Afrique subsaharienne en plus du Nigeria et de l’Afrique du Sud, est le continent les plus touchés par les conséquences du changement climatique inondations au Mozambique et en RDC, la pire sécheresse au Maroc depuis quatre décennies, des cyclones au Zimbabwe, des déficits pluviométriques et des inondations destructrices en Afrique de l’Ouest s’ajoutant – quoique dans une certaine mesure – aux crises existantes dans la région, etc.
Ce qui est surprenant aujourd’hui, c’est que ces mêmes pays riches, pollueurs historiques et encore largement dépendants des énergies fossiles, veuillent dicter à cette même Afrique comment s’industrialiser, par exemple en refusant de financer l’exploitation des énergies fossiles, selon l’argument du décarbonation nécessaire pour freiner le réchauffement climatique. Un discours dénoncé par de nombreux dirigeants africains, notamment lors de la COP 27, car il traduit l’injustice et « l’hypocrisie » au niveau mondial sur la question de la transition énergétique.
Vice-président nigérian Yemi Osinbajo a déclaré en réponse à ce type de raisonnement : « Aucun pays au monde n’a réussi à s’industrialiser grâce aux énergies renouvelables », or l’on attend de l’Afrique qu’elle le fasse « alors que tout le monde sait que nous avons besoin d’industries à gaz pour faire des affaires.
Seule la transition énergétique et les modèles africains
Sur la question énergétique, s’il est essentiel que les pays riches progressent le plus rapidement possible vers des objectifs de neutralité carbone avant qu’il ne soit trop tard pour espérer rester dans une limite de réchauffement de 1,5°C, le développement des pays en développement, y compris les nouveaux pays producteurs de gaz comme Le Sénégal et la Mauritanie ont surtout le droit d’utiliser au mieux la diversité des ressources énergétiques dont ils disposent pour accéder à l’électricité, se développer et s’industrialiser.
Dans ce contexte, il appartient à l’Afrique de construire ses propres modèles de développement et de concevoir ses propres systèmes énergétiques, avec une vision à long terme qui lui permettra de s’affranchir progressivement des énergies fossiles. La jeunesse africaine, largement sensibilisée et préoccupée par les enjeux climatiques – parce qu’elle en perçoit et en subit les conséquences – a tout ce qu’il faut pour projeter son continent comme leader des énergies renouvelables dans les années à venir, compte tenu du potentiel de ce secteur et de toutes les opportunités qui s’y trouvent sont à saisir. Mais cela ne peut se faire sans une vision juste et équitable de la transition énergétique à l’international.
Pour citer des exemples de pays africains à la pointe des énergies renouvelables, l’Ethiopie se démarque avec une part d’énergies renouvelables dépassant 90% du mix énergétique du pays, à travers d’importants investissements dans le solaire et l’hydroélectricité. Il convient de noter en termes de développement industriel que l’Ethiopie reste en dessous de la moyenne africaine en termes d’IIA (Source : BAD 2022) mais depuis plusieurs années, elle montre des signes d’émergence, notamment grâce à la création de réseaux de parcs industriels et de zones économiques spéciales (ZES).
Le Maroc est également l’un des leaders en matière d’énergie propre avec une politique ambitieuse qui vise à porter la part de ces énergies à 52% dans son mix énergétique d’ici 2030, et à se positionner de manière compétitive sur la production et l’exportation d’hydrogène vert. Cette nouvelle source d’énergie prometteuse pourrait accélérer la décarbonation de plusieurs secteurs industriels et contribuer de manière significative à la souveraineté énergétique de l’Afrique. Selon un étude récente de la Banque européenne d’investissement, de l’Alliance solaire internationale et de l’Union africaineL’Afrique peut produire 50 millions de tonnes d’hydrogène vert par an à partir de son énergie solaire d’ici 2035 à un coût compétitif.
L’ingéniosité africaine est indéniable. Elle est aujourd’hui une source d’inspiration technologique à travers ses solutions inclusives radicalement innovantes, comme le mobile money en réponse à la sous-bancarisation, ou la social tech dans le service d’accès aux soins. De même, cette ingéniosité, associée à une vision stratégique pour le développement industriel de notre continent, peut concevoir et mettre en œuvre des modèles industriels et économiques innovants capables de sortir les populations d’une pauvreté endémique inacceptable dans des pays si riches en richesses naturelles et humaines, tout en s’inscrivant dans un logique de développement durable. Les champions continentaux et mondiaux ouvrent déjà la voie.