– Vous êtes acteur, scénariste, réalisateur et auteur. Vous avez tourné dans des dizaines de projets hollywoodiens et internationaux. Avez-vous des références, des artistes qui vous ont influencé au point de décider de votre destin ?
– Le premier acteur qui m’a accroché à l’écran quand j’étais enfant était Steve McQueen dans Bullitt. Steve McQueen avait cette capacité à résumer les lignes de dialogue d’un coup d’œil. Puis j’ai commencé à imiter son héritier, le légendaire Tom Cruise, ou les grands comme Paul Newman et Clint Eastwood, Sydney Poitier, Peter O’Toole, James Coburn et Robert Redford que mon père adorait.
Grâce à ma mère qui m’achetait des collections d’encyclopédies au début de chaque vacances, je me suis très tôt intéressée aux arts visuels. Je pourrais passer des heures à feuilleter des tableaux de Delacroix, Julian Schnabel ou encore des sculptures de la période gréco-romaine et de la Renaissance italienne.
J’ai aussi lu beaucoup de BD, regardé toutes les VHS du magasin du quartier, vu tous les Stanley Kubrick, Ridley Scott, Kurosawa, des films d’action avec mes cousins. Au collège, j’ai découvert le rock avec Lenny Kravitz, Prince, Jimi Hendrix, Rolling Stones, Led Zeppelin, Metallica, Nine Inch Nails, Nirvana, Guns N Roses, Velvet Revolver, Soundgarden et Stone Temple Pilots.
– Qu’est-ce qui vous inspire le plus : être devant ou derrière la caméra ?
– Je suis plus à l’aise devant la caméra, car mon travail dans ce cas précis est uniquement d’aider le réalisateur à réaliser sa vision. Même si, bien sûr, je me prépare des semaines à l’avance, m’isole, me coupe de mes amis et du reste du monde, relis les textes avec ma femme, Nadia Benzakour, des centaines de fois. Je m’entraîne aussi, entre 12 et 15 par semaine, en salle si mon caractère demande des capacités physiques particulières.
Pour ma part, je pense qu’écrire ou réaliser est à la fois un plaisir et une torture car c’est plus personnel, j’ai toujours cette peur que mes proches et le public interprètent mal mon message.
Depuis que je suis toute petite, j’ai été sous les projecteurs, comme lorsque je faisais du théâtre amateur à l’école primaire Al Hanane ou lorsque j’étais la bonne élève au lycée français d’Agadir. J’étais vu comme l’extraterrestre ou l’enfant prodige, j’avais souffert de cet isolement, qu’on m’avait mis dans une case, j’étais populaire pour de bonnes ou de mauvaises raisons, tout dépend où l’on se situe dans le monde du prisme. Je me suis souvent senti seul ou incompris. Le jeu d’acteur m’avait aidé à sublimer une partie de moi-même voire à me détacher d’une réalité que je n’aimais pas.
– Quelles leçons tirez-vous de votre expérience dans le cinéma hollywoodien ?
– Hollywood est un business, il faut savoir se démarquer de la concurrence tout en restant authentique, moderne et frais. C’est ce que j’ai fait et c’est ce qui m’a permis d’étudier d’abord à Full Sail University puis de travailler avec certains maîtres du 7e art alors que personne à Al Akhawayn n’avait misé sur moi à part mon maître Nicolas Hamelin.
– Les cinéastes marocains sont-ils compatibles avec Hollywood ?
– Ce n’est pas une question de nationalité, c’est une question de mentalité. D’après ce que j’ai pu voir jusqu’à présent, personne n’est compatible avec Hollywood car sur l’ensemble des films l’investissement marketing d’un film représente moins de 20% du budget total ce qui est anormal. On a aussi cette paresse de ne pas chercher en amont des distributeurs qui veulent autre chose qu’un film social.
D’autre part de nombreux réalisateurs et producteurs marocains commettent cette grave erreur de prendre de faux acteurs ou influenceurs non présentables à la télé étrangère ni intellectuellement forts pour exposer un film lors d’une conférence ou d’un marché du film sérieux comme Cannes ou même pour aller au TIFF, Sundance à vendre aux distributeurs au prix fort. Certains de ces réalisateurs et producteurs veulent garder la couverture sur eux par ego et faim d’attention, ils sont souvent en concurrence avec leurs stars. Ils servent le film avec cette position, alors qu’un acteur, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est à la fois le vecteur de la vision d’un réalisateur, mais aussi l’étincelle qui va attirer le public qu’il soit marocain ou international. Avez-vous vu Brad Pitt ou Tom Cruise sur Tik Tok ?
S’il y a des films à petit budget qui ont eu du succès à l’international que je recommanderais aux professionnels au Maroc, ce serait Capharnaüm, le film SF Monsters et la franchise d’action, Tropa de Elite. Nous sommes capables de grandes idées mais il faut sortir du conservatisme des pensées et des films à finalité purement sociale. Apprenons d’abord à faire de bons burgers, de délicieux steaks frits, des films qui divertissent les téléspectateurs de toutes nationalités avant d’essayer de jouer les grands chefs gastronomiques. Il faut avoir peur de faire de mauvais films au départ si on s’aventure dans de nouvelles voies, mais il faut oser s’améliorer et progresser.
– Le racisme dans l’industrie cinématographique américaine est-il une réalité ?
– Le racisme existe fortement mais le problème est bien plus complexe que cela. Que ce soit moi ou la nouvelle génération de jeunes Marocains qui ont étudié le cinéma aux États-Unis, dans l’UE ou en Angleterre et en Corée, nous souffrons des erreurs de nos prédécesseurs. Européens et Américains ont souvent dans leur inconscient des clichés liés au cinéma d’action, à la série B, voire de mauvaises expériences avec certains Marocains liées à des farces et des accidents. Alors, c’est normal que lorsqu’un jeune comme moi arrive sur un plateau, il mette du temps à intégrer le fait que je suis cultivé, sérieux, pointu dans mon travail, et aussi passionné de cinéma et d’art qu’eux. De plus, il n’y a pas assez d’investisseurs et de scénaristes d’origine arabe ou africaine qui ont un bastion à Hollywood. Par exemple, en 20 ans de télé américaine, un seul grand scénariste égyptien, Sam Ismaïl, a créé l’excellent Mr. Robot. Il y a donc un problème d’exposition. Mais j’espère que l’argent investi dans le cinéma des pays du Golfe pourra résoudre en partie ce problème et offrir de nouvelles opportunités aux jeunes artistes.
– Les films d’action/thriller manquent dans l’industrie marocaine. Comment l’expliquez-vous ?
– C’est normal car le Centre du Cinéma Marocain n’aide à financer que des documentaires ou des films à vocation sociale, sans oublier que certains producteurs marocains cherchent une échappatoire. Ils préfèrent filmer dans une salle avec deux acteurs mal maquillés qui pleurent que dans une banque avec des kalachnikovs et des 4×4. Dommage car nous avons au Maroc certains des meilleurs cascadeurs du monde et des histoires marocaines dignes de la série The Wire et du film Traffic de Soderbegh. Si on veut plus de diversité, le CCM doit révolutionner ses conditions de financement et son réseau pour favoriser le développement de nouveaux genres. Pourquoi ne pas le dire aux cinéastes : nous financerons, en cette année 2023, les trois meilleurs scénarios de films d’action ou d’horreur.
– Continuez-vous à aller beaucoup au cinéma ou préférez-vous les vidéos et les plateformes ? Y a-t-il des cinémas que vous fréquentez particulièrement ?
– À Los Angeles, je vais souvent à l’Arc Light Cinema à côté de la Los Angeles Film School. En France, j’allais souvent à l’UGC. A Casablanca, je vais souvent au Ciné Lutétia quand il y a un film indépendant, et sinon Megarama.
Je vois Netflix ou Amazon comme une chaîne de télévision des années 90 avec des séries, parfois des jeux, des documentaires, des films et des séries télévisées. Je m’explique : il y a des films qui ne sont pleinement appréciés qu’au cinéma comme Top Gun ou Avatar, et d’autres qui sont très bons même s’ils sont projetés sur petit écran, comme le dernier Bardo d’Alejandro Innaritu. Je pense que les deux écosystèmes peuvent coexister en harmonie.
– Concernant le clivage Cinéma/Télévision, pensez-vous qu’il y ait encore une certaine condescendance envers les productions télévisuelles ?
– Aujourd’hui des séries comme Le Seigneur des Anneaux, The Mandalorian, The Last Of Us et House of The Dragon ont des budgets dignes de James Bond et Mission Impossible, donc la condescendance n’existe pas. La seule question que l’on peut se poser : combien de temps cela va-t-il durer ?
– Quel est votre point de vue sur la production télévisuelle marocaine actuelle ? Et sur la production cinématographique actuelle ?
– Je ne regarde presque jamais les séries marocaines car j’ai du mal à m’identifier à elles quand j’ai grandi à Agadir. Les quelques fois où je les regarde, ils me rappellent la radio marocaine qui, depuis 30 ans, ne diffuse que les mêmes disques des Gypsy Kings, George Michael, Cher et Britney Spears. C’est comme si le monde s’était arrêté en 2000, c’est aussi la torture après la millième écoute ! J’aimerais un jour faire une étude sérieuse auprès de jeunes marocains avec des questionnaires et leur demander ce qu’ils aiment vraiment. Je pense qu’ils regardent autant les émissions de Netflix que les jeunes Américains.
Pour le cinéma, je m’attends à voir une trappe ingénieuse qui ne plagie pas Costa Gavras juste pour se faire payer et qui s’affirme avec son univers cinématographique.
– Vos projets en cours ?
– Je viens de terminer le tournage d’un long métrage avec l’icône Lambert Wilson, qui s’appelle Klandestinet, une série américaine Beyrouth du réalisateur Greg Barker dans laquelle je joue un rôle plus qu’intéressant. J’ai également joué l’un des rôles principaux dans le clip Tatooine du rappeur français JXSH. Maintenant, je prépare une série étrangère et peut-être même que je signe pour un long métrage d’un grand producteur italien.
– Un message aux jeunes qui veulent entrer dans le cinéma ?
Recueillis par Safaa KSAANI