Certains pointent du doigt des spéculations que les autorités peinent à contenir, d’autres rejettent les arguments de l’inflation importée et les justifications techniques. Il fallait que le gouvernement reprenne l’exercice pédagogique. Cette responsabilité incombe évidemment au ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et forêts, Mohamed Sadiki, qui était l’invité du forum de la MAP mercredi.
Interrogé sur les origines de la flambée actuelle des prix, le ministre a pointé du doigt le marché mondial, dont les turbulences ont contaminé le nôtre. « L’inflation importée et la hausse des coûts de production ainsi que les perturbations saisonnières font grimper les prix des matières premières agricoles », a-t-il expliqué, ajoutant que « l’inflation d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, car il ne s’agit pas seulement d’un produit, mais de bien d’autres ».
Le trio coupable !
En effet, selon la logique gouvernementale, c’est la conjonction de trois facteurs qui est à l’origine de la flambée actuelle des prix alimentaires. Il s’agit notamment de l’inflation, des sécheresses et des perturbations saisonnières, ainsi que de la guerre en Ukraine. Cela dit, selon les arguments du gouvernement, ces contraintes pesaient lourdement sur la production, qui n’était donc pas assez abondante pour répondre largement à la demande, sachant que le Maroc produit tous ses besoins en fruits et légumes.
L’effet du stress hydrique
Prenant le cas des perturbations saisonnières, sujet souvent remis en cause par les observateurs, le ministre est revenu sur l’effet du stress hydrique sur l’irrigation d’une grande surface de terres agricoles. L’argument du ministre est le suivant : la sécheresse est tellement récurrente qu’il n’y a pas eu assez d’eau pour irriguer toutes les régions avec l’abondance habituelle. Un argument rejeté par certains qui ne comprennent pas que certaines cultures, comme l’avocat, explosent à l’export. La production d’avocats a atteint des niveaux historiques avec un volume de 40 000 tonnes au cours de la saison 2022-2023, selon les données de « Freshplaza ». Idem pour les pastèques et les melons qui se sont aussi développés si rapidement que le Maroc est devenu l’un des principaux fournisseurs de ces produits à l’Union européenne en 2022.
Le paquet a mis l’arrosage
En effet, la question de l’irrigation a été fréquemment débattue ces derniers temps sachant que beaucoup critiquent les gouvernements précédents qui n’ont pas construit les stations de dessalement qui auraient permis de désengorger les barrages. La gare de Casablanca, par exemple, aurait dû être opérationnelle il y a des années, selon le calendrier préalablement établi. Mais cela ne s’est pas produit. Sa création aurait pu permettre de conserver les ressources des barrages et de les consacrer essentiellement à l’agriculture. C’est le cas, d’ailleurs, de la gare d’Agadir récemment inaugurée et qui a sauvé 10 000 hectares de terres agricoles dans les régions environnantes, selon des données fournies par le porte-parole du gouvernement en février dernier. En revanche, dans des régions telles que Tadla, Al Haouz, Doukkala et Draâ-Tafilalet, l’alimentation en irrigation par barrages a été suspendue en raison du faible taux de remplissage des barrages.
En réalité, pour atténuer les risques liés à l’eau, le gouvernement entend investir 40 milliards de dirhams pour l’optimisation de l’utilisation de l’eau dans l’agriculture. L’idée est de généraliser le goutte à goutte avec pour objectif de couvrir un million d’hectares de terres avec cette technique d’ici 2030. Le Maroc en est actuellement à 750 000 hectares, un niveau qui a été multiplié par 4,6 par rapport à 2007 (160 000 hectares). Le gouvernement mise aussi sur le dessalement comme source de nourriture pour l’agriculture, sachant qu’un projet vient d’être achevé dans la plaine de Chtouka couvrant une superficie de 15.000 hectares, avec une capacité de 400 mètres cubes par jour, a rappelé le ministre.
Par ailleurs, en plus de la sécheresse, les fameuses « perturbations saisonnières » ont eu un effet négatif en retardant les temps de maturation des produits agricoles, selon Mohammed Sadiki, qui a relevé que le Plan Maroc Vert et la nouvelle stratégie « Génération Verte » ont permis » une consolidation des filières agricoles, permettant une plus grande production même hors saison ». Ces deux stratégies, rappelons-le, visent à porter la production agricole à 200 milliards de dirhams contre les 125 milliards de dirhams enregistrés en 2020.
Des prix en hausse : le gouvernement a-t-il épuisé sa boîte à outils ?
A l’exception de la compensation des produits de base (gaz, sucre et blé tendre) et du contrôle du marché, qui n’ont jusqu’à présent pas eu les effets escomptés, le gouvernement s’est vu avec peu de marge de manœuvre. Cependant, l’exécutif a activé l’instrument douanier en suspendant les droits d’importation appliqués aux huiles végétales, au blé tendre, au lait en poudre, au beurre et au bétail. Par ailleurs, le Trésor prend en charge la TVA (20%) et les droits de douane (200%) sur le bétail, selon les données du ministère de l’Economie et des Finances. Jusqu’à présent, les prix de la viande sont restés élevés, oscillant entre 85 et 110 dirhams selon les régions. Cette augmentation est due, selon Sadiki, aux répercussions de la crise du Covid-19 qui a déstabilisé les chaînes d’approvisionnement en raison de la baisse des élevages et des retards de vaccination.