Le Sénégal vit présentement une schizophrénie curieuse et singulière. Depuis son accession à l’indépendance, le pays connait, pour la première fois, la situation inédite d’une Assemblée Nationale où les forces de la Majorité et de l’Opposition sont presque à égalité. Les législatives de juillet 2022 ont produit une reconfiguration spectaculaire de l’Assemblée nationale, dans des proportions qui relevaient jusqu’alors du domaine de l’impossible.
Trois grandes coalitions, ont contribué à ces bouleversements, et ont permis une sorte « d’équilibre de la terreur », avec des scores différents qui ne donnent à aucune d’elle une légitimité incontestable. Sur 165 sièges (majorité absolue 83 sièges), Benno Bok Yakaar a obtenu 82 sièges, Yewwi Askan Wi 56 sièges, et Wallu Sénégal 24 sièges. Les Serviteurs/MPR, AAR et BGG ont obtenu chacun 1 siège, et sont devenus les premiers « faiseurs de roi » de notre démocratie, en tenant entre leurs mains la clé de la majorité absolue.
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Cette configuration de l’Assemblée nationale rend enfin possible et envisageable le contrôle de l’action du gouvernement, tel que prévu par la Constitution de notre pays.
Malgré cette notoire avancée dans la consolidation de nos institutions, l’on sent, comme une lame de fond insondable, un malaise profond qui traverse le pays. La fierté d’avoir accompli un exploit collectif remarquable se trouve mitigée par une sorte d’embarras que l’on a certain scrupule à réclamer ouvertement.
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Et pourtant la gêne est là, et elle est justifiée.
L’environnement politique du Sénégal a probablement changé depuis 2014 quand un nouvel acteur, issu d’un syndicat corporatiste, est venu revendiquer, légitimement, une place et un rôle dans le jeu politique de notre pays, avec une démarche agressive assumée, et un formidable sens de la communication numérique. Dans un pays où la population de moins de 20 ans et les jeunes en âge de travailler représentent environ 60%, et où la pauvreté et la lassitude générale envers une Administration perçue comme corrompue et sectaire, le ton virulent du discours, les « révélations » et les « dénonciations » fracassantes ont opportunément attisé une velléité vindicative dormant, et libére une parole irrévérencieuse, et intolérable parce que contraire à nos valeurs culturelles et religieuses. Une vague de fureur verbale et comportementale, surgie des réseaux sociaux, est venue afficher son adhésion inconditionnelle à une Classe d’acteurs politiques qui correspondait à sa conception du jeu et de l’engagement politiques.
Avec le temps, un clivage générationnel et émotionnel s’est activé dans notre pays avec, d’une part, une Opposition dont le porte-drapeau surfe sur une notoriété surfaite, mais amplifiée par une partisane digital vigie et, d’autre part, une Administration impopulaire, accusée, aux abois, victime de ses propres péchés.
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Entre les deux, une majorité silencieuse observe, avec une résignation presque stoïque, les dérives et outrages d’une position partisane devenue intolérable.
Falilou Diouf