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Le Sénégal est-il une dictature ou non ? Explications ( Par Boubacar SALL )

On entend régulièrement les tenants du pouvoir et ceux qui communiquent en leur nom affirmer que le Sénégal est un Etat de droit et une grande démocratie. C’est souvent en réponse à l’opposition ou à certains observateurs qui déplorent que le Sénégal se soit transformé en dictature sous la présidence de Macky Sall.

Le Sénégal peut-il être considéré comme un pays en proie à la dictature ? Pour répondre à cette question, il faut reprendre les critères qui définissent une dictature et voir s’ils sont présents dans le cas du Sénégal. Nous essaierons de montrer si le Sénégal est devenu une dictature ou non.

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Définition de la dictature. Une dictature est une forme de gouvernement dans laquelle tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’un individu ou d’une élite. Il convient de noter qu’une dictature peut avoir des lois, des institutions et des députés élus, mais ceux-ci ne représentent pas réellement des contre-pouvoirs. Une dictature se caractérise par les 10 situations suivantes :

1° Un gouvernement de fait

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2ème Absence de séparation des pouvoirs

3° Concentration du pouvoir entre les mains d’une élite

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4° Le non-respect de la loi

5° Suspension de l’État de droit

6° Suppression ou manipulation des élections

7° Contrôle des médias et censure

8° Censure des partis politiques

9ème Répression de l’opposition

10° Durée indéterminée du gouvernement en place

Chacune de ces situations nous rappelle quelque chose si nous vivons au Sénégal. Mais entrons un peu plus dans le détail pour une démonstration plus précise, en définissant chacun des critères et en faisant ensuite une corrélation avec le Sénégal.

1ER GOUVERNEMENT DE FAIT.

Définition.

Les dictatures sont des gouvernements de facto sans réelle légitimité politique. Cela peut se produire de deux manières : 1° à la suite d’une occupation gouvernementale illégale — ou — 2° à la suite d’un coup d’État.

Dans le cas du Sénégal.

Le Sénégal correspond parfaitement à ce cas de figure. Tout le monde se souvient que M. Macky Sall a organisé un « coup d’État constitutionnel » pour rester au pouvoir après 2019. Tous les actes anti-démocratiques ont été utilisés : tripatouillage du Conseil Constitutionnel – Tripatouillage du Code Electoral – Dénaturation de la Constitution – Organisation d’une sélection présidentielle en lieu et place d’une élection présidentielle – Incarcération des 2 candidats les plus menaçants – Elimination de 19 autres candidats en utilisant le Conseil Constitutionnel – Annonce du nombre de candidats et des résultats de l’élection devant les institutions habilitées.

Il s’agit donc ni plus ni moins d’une prise de pouvoir et d’un gouvernement de fait à la tête du Sénégal depuis 2019.

Un gouvernement installé à la suite d’un  » coup d’État constitutionnel  » est dans certains cas plus illégitime qu’un gouvernement issu d’un  » coup d’État armé « , car il arrive souvent qu’un coup d’État armé soit accueilli favorablement par le peuple, qui ne pouvait plus tolérer un gouvernement trop totalitaire.

2ÈME ABSENCE DE SÉPARATION DES POUVOIRS

Définition.
La séparation des pouvoirs n’existe pas dans les régimes dictatoriaux. Elle est ouvertement éliminée ou bannie par le contrôle totalitaire de tous ses organes.

Dans le cas du Sénégal.

Tout le monde peut constater que Macky Sall exerce un contrôle totalitaire sur tous les organes et institutions.

En ce qui concerne le pouvoir législatif. L’Assemblée nationale elle-même prétend être au service du Président et de son gouvernement. Les 12e et 13e législatures ont refusé tout contrôle de l’action du Gouvernement et tout débat sur les projets de loi déposés par l’Exécutif. Au cours de la 13e législature (2017 – 2022), sur les 153 propositions de loi votées par l’Assemblée nationale, 148 émanaient de Macky Sall et ont toutes été adoptées. Seules 5 propositions de loi émanaient des députés, les 4 qui étaient au profit du peuple ont été rejetées, une seule a été adoptée et elle ne concernait que le règlement intérieur de l’Assemblée.

En ce qui concerne le système judiciaire. Le régime de Macky Sall ne s’embarrasse même plus de formalités pour montrer qu’il contrôle totalement la justice, qu’il gère le calendrier à sa guise, qu’il dicte les verdicts et les délibérations. Les membres de l’APR/BBY l’admettent avec arrogance. – Un opposant menaçant peut être jugé et condamné en première instance et en appel en 45 jours, soit exactement la peine nécessaire pour le rendre inéligible. – Toute forme d’enquête sur la vingtaine de manifestants tués en plein jour peut être bloquée. – Le président peut déclarer publiquement qu’il a mis son coude dans les affaires judiciaires, ou qu’il décide à la place des procureurs par l’intermédiaire de son ministre de la justice.

Le Conseil constitutionnel est au service exclusif de Macky Sall qui en nomme les membres. Cette institution n’a pas hésité à se ridiculiser lors des élections législatives de 2022 en validant une liste de suppléants sans liste majoritaire, et inversement, dans le seul but d’éviter la suppression de la liste de la coalition au pouvoir.

La Cour suprême et la Cour de cassation ont suffisamment démontré qu’elles sont au service exclusif de ceux qui les nomment. Toutes leurs décisions sont prises au profit du pouvoir.

3° Concentration du pouvoir entre les mains du dictateur ou d’une élite

Définition.

Cela signifie que le pouvoir est totalement concentré entre les mains du dictateur et d’une élite privilégiée qui évolue sous sa direction.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas Macky Sall et Benno Bokk Yakkar dans cette description ? Le pouvoir est concentré non seulement entre les mains du Président, mais aussi entre celles de sa famille, de sa belle-famille et de ses amis.

4E NON-RESPECT DE LA LOI

Définition.

Dans les régimes dictatoriaux, les décisions sont prises de manière arbitraire, en ignorant manifestement le cadre juridique et le principe de la séparation des pouvoirs. Le dictateur ou l’élite dirigeante agit en tournant le dos à la loi ou adopte des lois accommodantes pour se perpétuer au pouvoir.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans cette description ? Macky Sall l’a encore prouvé à l’ouverture du dialogue national. Parlant du 3ème mandat, au diable la Constitution qui l’interdit, il a déclaré que c’est lui seul qui décide de l’exercer ou non, et que si nous voulons qu’il y renonce, il faudra le supplier à genoux.

Macky Sall peut faire enfermer chez lui un opposant politique et sa famille sans aucune décision de justice – il peut obliger un opposant politique à assister à un procès où il a le droit d’être représenté par ses avocats – il peut faire saisir arbitrairement les téléphones et les ordinateurs d’un opposant politique – un opposant peut être jugé et condamné sans être convoqué au tribunal – le Conseil Constitutionnel peut valider une équipe de suppléants sans titulaires, le Conseil constitutionnel peut valider une équipe de suppléants sans titulaires, et inversement – il peut être décidé qu’un sursis à statuer n’est pas suspensif dans le cas d’un opposant – Etc….

5ÈME SUSPENSION DE L’ETAT DE DROIT.

Définition.

Dans un régime dictatorial, il n’y a pas d’État de droit, c’est-à-dire de respect du principe selon lequel tous les citoyens de la nation, y compris l’élite dirigeante, sont égaux devant la loi et doivent en répondre. Par conséquent, pour se maintenir dans le temps, les dictatures suspendent toutes sortes de garanties constitutionnelles, déclarées ou non.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans cette description ? En 11 ans de gouvernement, des centaines de massacres financiers ont été enregistrés, mais ZERO sanctions, ZERO membres de l’élite dirigeante mis en cause. Même quand la justice a essayé de faire son travail dans le cas de Seydina Fall Bougazelli, qui a fait des aveux filmés, dont le crime est passible de 20 à 30 ans de prison, il a été libéré après une très courte détention et ne sera jamais jugé sous Macky Sall – Un membre du gouvernement a renversé un motocycliste, le tuant, sans faire 24 heures de prison – Le fils d’un ministre a conduit sans permis et a renversé quelqu’un, il n’a pas fait 24 heures de prison.

D’autre part, des milliers de membres de l’opposition politique, principalement du parti PASTEF, sont emprisonnés sans raison, pour des actes, des écrits ou des paroles qui ne méritent même pas une réprimande ou une amende. – Certains sont tués pour avoir exprimé leur mécontentement. – D’autres sont torturés à mort pour avoir refusé de pousser Ousmane Sonko. – Toute plainte de l’opposition n’est pas instruite par la justice – Toute plainte contre un membre de l’opposition bénéficie de toute la diligence de la justice et de sanctions très lourdes.

6ÈME SUPPRESSION OU MANIPULATION DES ÉLECTIONS

Définition.

Le dictateur et son élite s’attribuent la capacité d’interpréter les besoins du peuple ou simplement d’agir en dehors de ceux-ci. En ce sens, les élections sont supprimées ou manipulées pour garantir le maintien au pouvoir de l’élite dirigeante.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans cette définition ? Macky Sall choisit seul l’organisateur des élections, les arbitres électoraux, les observateurs, le nombre de candidats – Il décide seul du contenu final du code électoral selon ses désirs – Quand cela l’arrange il reporte les élections locales de 2 ans – Quand cela l’arrange il décide d’interpréter différemment l’article 27 de la Constitution, au diable la volonté du peuple exprimée à travers le référendum de 2016.

7ÈME CONTRÔLE ET CENSURE DES MÉDIAS

Définition.

Dans les régimes dictatoriaux, le gouvernement exerce un contrôle et une censure sur les médias et/ou les réseaux sociaux, ce qui implique la suppression de la liberté d’opinion et de la presse.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans cette définition. A l’heure où nous écrivons ces lignes, début juin 2023 : Des restrictions d’accès à Internet ont été imposées à la population – L’Internet mobile a été perturbé – Les réseaux sociaux ont été suspendus – Walf TV a été fermée pour la énième fois et les signaux du groupe ont été suspendus – SEN-TV a été récemment fermée – Tous les groupes de presse ont été menacés de suspension s’ils rapportaient la réalité des atrocités sur le terrain – Sept journalistes ont été emprisonnés au cours des cinq derniers mois sans avoir commis le moindre délit – Près de 100 prisonniers politiques, prisonniers d’opinion et manifestants sont détenus et torturés dans des prisons ou des maisons d’arrêt.

8ÈME CENSURE DES PARTIS POLITIQUES

Définition.

Dans les régimes dictatoriaux, les partis politiques sont considérés comme une menace, car ils constituent des formes d’organisation et de représentation populaires. Par conséquent, les partis sont souvent interdits et opèrent dans la clandestinité. Dans les régimes hybrides, les partis ne sont pas interdits, mais persécutés et intimidés.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans cette définition ? Si Macky Sall n’avait pas trouvé le multipartisme en 2012, il ne l’aurait pas instauré – Avec lui, quand un parti est créé par un opposant trop critique, il peut se présenter pendant des années derrière un récépissé, comme  » Les Guelewar  » de Babacar Diop ou le PJ2D de l’ancien procureur Alioune Ndao, La plupart des rassemblements pacifiques de l’opposition sont interdits – De simples réunions de l’opposition ont été interdites, comme celle qui s’est tenue à F24 le 31 mai 2023 – Le bureau privé du PRP de Déthié Fall a été bloqué à plusieurs reprises pour empêcher l’accès aux opposants – Le bureau du Grand Parti de Malick Gakou a été récemment bloqué.

9ÈME RÉPRESSION DE L’OPPOSITION

Définition.

Pour se maintenir au pouvoir, les régimes dictatoriaux censurent toute forme d’opposition et perçoivent toute critique comme une menace pour leur pérennité. Par conséquent, la persécution politique, la torture et la disparition de citoyens sont à l’ordre du jour dans les régimes dictatoriaux.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans cette définition ? Macky Sall a déclaré publiquement qu’il entendait réduire l’opposition à sa plus simple expression. Il a donc criminalisé son opposition la plus menaçante. Les membres du parti le plus menaçant du moment sont intimidés et persécutés. – Au début du premier mandat de Macky Sall, c’est le PDS et ses membres qui ont été persécutés et emprisonnés. – Vers 2015, Taxawou Dakar a été persécuté et son leader emprisonné. – Depuis 2019, le parti PASTEF et son leader sont persécutés comme aucun autre parti ou leader dans l’histoire du Sénégal. Rien ne leur est interdit, même les droits les plus élémentaires.

Les critiques et les appels à la résistance sont perçus comme des menaces. Ils sont grossièrement décrits comme des appels à l’insurrection, des attaques contre la sécurité de l’État, le discrédit des institutions, l’insulte au chef de l’État, la diffusion de fausses nouvelles, etc… ….

La torture est devenue monnaie courante. Certains opposants et militants se sont même plaints d’avoir eu les testicules électrocutés. François Mancabou a été torturé à mort, selon sa famille.

Personnes disparues. C’est le cas de Fulbert Sambou et Didier Badji, dont l’un a été retrouvé mort. Selon un fonctionnaire du gouvernement (Ameth Suzanne Camara), ils auraient été tués en raison de leurs liens supposés avec l’opposition.

Les manifestations ont été réprimées à balles réelles avec l’aide de milices meurtrières. Des dizaines de personnes sont mortes, des centaines ont été blessées et des centaines ont été arrêtées.

10E MANDAT INDÉFINI DU GOUVERNEMENT EN PLACE

Définition.

Les régimes dictatoriaux durent indéfiniment. En d’autres termes, ils ne sont pas conçus pour laisser la place à une nouvelle génération politique, mais plutôt pour rester au pouvoir le plus longtemps possible. C’est pourquoi les régimes dictatoriaux sont souvent renversés par une révolution armée ou civile.
Cependant, il y a eu des cas dans l’histoire où des dictatures sont sorties du pouvoir « pacifiquement », mais elles étaient souvent soumises à la pression de l’armée ou du secteur populaire.

Dans le cas du Sénégal.

Qui ne voit pas le Sénégal dans une partie de cette définition ? Bien que la constitution soit très claire en limitant les mandats à 2, et qu’elle ait été bloquée par le référendum de 2016, le président sortant Macky Sall affirme qu’il peut aller aussi loin qu’il le souhaite – Certains membres de l’élite complice soutiennent que le président a le droit de conserver le pouvoir à vie. – À huit mois de la fin de son dernier mandat, Macky Sall affirme que c’est lui seul qui décidera de céder le pouvoir à quelqu’un d’autre en 2024.

CONCLUSION.

Le Sénégal remplit les 10 critères, c’est donc bien une dictature, et pas des moindres. Feu Sidy Lamine Niasse avait raison. Le Sénégal de 2019 à 2024 peut être classé parmi les dictatures du monde.

La différence entre le dictateur qui dirige le Sénégal et les dictateurs d’autres pays comme la Russie, la Corée du Sud, etc. est que ces dirigeants font encore passer la préférence nationale, les intérêts de leur peuple avant ceux des étrangers. Au Sénégal, c’est malheureusement le contraire.

Boubacar SALL
E-mail : [email protected]

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